Coronavirus:
« Et si Péguy avait déjà tout vu? »
est une
tribune de Salomon
Malka qui est journaliste et écrivain, parue dans le Figaro
Vox
du 10 mars 2020.
« Au moment où je me flattais d’un espoir insensé, tout un régiment de microbes ennemis m’envahissaient l’organisme» Centre Charles Péguy. |
Salomon
Malka revient sur les écrits de Charles Péguy au sujet de
l’épidémie de grippe dont il avait souffert. Selon lui, ses
textes sont plus actuels que jamais.
Extraits
C’était il y a cent vingt ans, en l’an de grâce 1900. Péguy attrape subitement une grippe carabinée. En pleine préparation des « Cahiers de la quinzaine », il est obligé de garder la chambre et fait appel à un médecin pour l’examiner. On lui recommande de rester au lit, ce qu’il fait en ayant recours à ce qu’on appellerait aujourd’hui du télétravail. Il va corriger sa copie depuis son lit. C’est grave, Docteur? S’enchaînent une série de trois cahiers, entre le 20 février et le 5 mars 1900, où Péguy évoque cette infection autrefois appelée « Influenza » (de l’italien « Influenza de freddo », influence du froid) et dont l’origine est à rapprocher de « griffe », ce qui vous saisit brutalement.
C’est brutal dans le cas de Péguy, mais il ne s’agit pas encore de la grippe espagnole qui va sévir dix-huit ans plus tard et décimer une bonne partie de la population. L’écrivain est mort bien avant. Mais il en a vu tous les symptômes. Il en a anticipé tous les signes, y compris la découverte que le virus est « facétieux », qu’il va, qu’il vient, qu’il esquive celui-ci et fonce sur celui-là: « Au moment où je me flattais d’un espoir insensé, tout un régiment de microbes ennemis m’envahissaient l’organisme où, selon les lois de la guerre, ils marchaient contre moi de toutes leurs forces: non pas que ces microbes eussent des raisons de m’en vouloir ; mais ils tendaient à persévérer dans leur être ».
Et puis la liste des batailles à mener, des barrières à ériger, des règles d’hygiène à instaurer, des comportements à changer.
« Il faut songer à guérir» dit-il. Et au « citoyen docteur révolutionnaire »qui lui demande pour quelles raisons, il en avance deux. D’abord, il craint que sa mort ne cause « une épouvantable souffrance pour quelques-uns, une grande souffrance pour plusieurs et une souffrance pour beaucoup. » Ensuite, il voudrait terminer son travail et éviter de laisser inachevées quelques entreprises commencées.