«Les écologistes sont en train de «déconstruire» notre agriculture !» par Jean-Paul Pelras.
Tribune dans Le Point du 8 février 2023. Alors que les agriculteurs manifestent à Paris, ce mercredi, l’ancien maraîcher Jean-Paul Pelras* dénonce un discours «environnementaliste» qui abîme la ferme France.
ien sûr il y a les méventes, les intempéries, les prédateurs, les maladies, la solitude, les lourdeurs administratives, le recul des installations, les mouvements brusques du destin et toutes ces causes qui finissent par se dissoudre dans les arpents d'une déprise rurale de plus en plus prégnante.
Du nord au sud, d'est en ouest, les productions qui ont fait la fierté de notre histoire agricole, et qui ont permis à notre pays de préserver son autonomie alimentaire, disparaissent progressivement du marché. Les filières fruits et légumes, mais également laitières, betteravières, céréalières, bovines, ovines, porcines, viticoles, avicoles sont désormais confrontées à l'érosion de leurs potentiels.
En cause, bien sûr, la hausse des coûts de production corrélée à celle des intrants ou de l'énergie et à une compétitivité de plus en plus malmenée par les accords de libre-échange internationaux. Lesquels sont dopés par les compétitions déloyales profitant notamment des dumpings sociaux, fiscaux et environnementaux.
Résultat : 70% des fruits et 30% des légumes consommés en France sont issus de l'importation. Idem pour la volaille, à hauteur de 40%, 20% pour le porc, plus de 50% pour les ovins et environ 25% pour la viande de bœuf, dont les importations ont augmenté de 15% sur un an, alors que l'élevage français vient de perdre 11% de son cheptel en six ans. Soit, selon la Fédération nationale bovine, 837 000 vaches. Les chiffres sont là, têtus et répétés à l'envi par les syndicats et les interprofessions qui alertent les pouvoirs publics ce mercredi 8 février lors d'une manifestation nationale.
Qui aurait pu imaginer, voilà seulement dix ans, que, un jour, la France allait perdre le leadership de la production sucrière en Europe ; que des arboriculteurs, dans le Midi, devraient sacrifier leurs récoltes pour laisser filer l'eau dans la rivière voisine ; que des vignerons ne pourraient pas vendanger car une association allait les empêcher de sulfater contre le mildiou ; que des trains de céréales seraient déversés sur les voies ferrées ; que des paysans ne pourraient pas irriguer là où des activistes allaient venir saccager les retenues collinaires ; que les éleveurs devraient se battre contre la réintroduction du loup et de l'ours sur les estives ; qu'ils allaient devoir surveiller l'intrusion d'antispécistes dans leurs étables ; que des cultivateurs allaient se faire insulter et tabasser par ceux qui traversent leurs champs et n'apprécient pas leur façon de travailler ?
La liste est longue et non exhaustive et en dit beaucoup sur ce qu'est devenu le modus vivendi du paysan et sur l'état d'esprit de ceux qui cherchent à le déstabiliser.
Pour y parvenir, des amphis d'AgroParisTech au campus agricole financé par un «laborantin» milliardaire fabricant de steak végétaux, en passant par les studios de télévision où la bonne parole est portée par des artistes de variété et des présentatrices météo, jusqu'aux bancs de l'Assemblée nationale et les strapontins du Parlement européen, la grande armée de ceux qui veulent renverser le modèle agricole est en ordre de marche, structurée, influente, subventionnée, épaulée.
Très peu de paysans parmi ces gens-là, et beaucoup de donneurs de leçons, qui idéalisent la campagne et veulent chasser le paysan de ce pré où, et c'est peut-être le résumé des résumés, frustrés, ils rêvent de s'installer.
Un enfant de 10 ans serait capable de le comprendre. Et pourtant, nos dirigeants mettent en place des consultations citoyennes, des grands débats, des programmes «Farm to Fork» («De la ferme à la fourchette») qui vont limiter les rendements, imaginent des usines à gaz pour que l'oiseau vienne nicher au bon endroit, pour que le coquelicot repousse sur la friche abandonnée, pour que l'embâcle reste au milieu du ruisseau, parce que c'est la nature qui l'a décidé.
À l'inverse, est-ce que le paysan s'occupe des affaires des autres ? Non, il se contente de les alimenter ! Jusqu'à quand ? La question est posée avec un secteur agricole deuxième exportateur mondial en 1999 qui a dégringolé au cinquième rang en moins de vingt ans. Nul besoin, à ce titre, d'être grand clerc pour entrevoir la suite du scénario.
Une fois que les adeptes de la permaculture et de l'agriculture vivrière seront revenus de leur bricolage tout autant moralisateur que dévastateur, il faudra tout simplement s'habituer à acheter du poulet brésilien, à boire du lait polonais et du vin chilien, à manger des fruits espagnols, des légumes marocains, du bœuf argentin et, entre autres subtilités, de l'agneau néo-zélandais. Et ce, alors qu'il faudra augmenter de 50 % la production agroalimentaire mondiale si l'on veut, en 2050, fournir 2 700 kcal/ jour à tous les habitants de la planète.
En résumé, céder aux caprices des environnementalistes revient à céder, en seulement quelques années, notre place aux pays concurrents. Des étables vides, des vergers et des vignobles arrachés, des coopératives fermées, des friches, des champs abandonnés, des territoires désertés, une économie rurale anémiée, des risques naturels démultipliés, voilà ce qui attend notre pays si l'agriculture est contrainte d'abdiquer face à l'écologie. Ne pas le voir relève du déni, l'accepter relève de l'incurie !
*Jean-Paul Pelras est écrivain, ancien syndicaliste agricole et journaliste. Rédacteur en chef du journal L'Agri des Pyrénées-Orientales et de l'Aude, il est l'auteur d'une vingtaine d'essais, de nouvelles et de romans, lauréat du prix Méditerranée Roussillon pour Un meurtre pour mémoire et du prix Alfred-Sauvy pour Le Vieux Garçon. Son dernier ouvrage, Le Journaliste et le Paysan, est paru aux éditions Talaia en novembre 2018.