Sur l'île philippine d'Antique, plusieurs dizaines de tonnes de riz doré ont été récoltées pour la première fois cet automne. (Photo : Bureau d'information de la province d'Antique). «Riz doré»: les graines ont germé», article de Peter Rüegg, ETH
Zurich. Le titre original est The
seeds have germinated | ETH Zurich. Merci à André
Heitz d’avoir traduit le texte de l’anglais et de l’avoir
publié sur son blog.
Pour la première fois, des agriculteurs des Philippines ont cultivé
du riz doré à grande échelle et ont récolté près de 70 tonnes
de grains en octobre dernier. Cette histoire presque interminable a
commencé à l'ETH Zurich.
Cet automne restera probablement dans l'histoire agraire. En octobre,
les agriculteurs de la province philippine d'Antique ont récolté
pour la première fois une quantité substantielle de riz doré
enrichi en bêta-carotène, soit un total de 67 tonnes provenant de
17 champs.
Les grains séchés et polis vont être distribués à des ménages
comptant des femmes enceintes, des mères allaitantes ou des enfants
d'âge préscolaire qui risquent de souffrir de maladies dues à une
carence en vitamine A.
Le professeur émérite de l'ETH, Ingo Potrykus, père et inventeur
du riz doré, considère sa culture aux Philippines comme une percée
: «Le pas vers une utilisation pratique a enfin été franchi. Après
des décennies pendant lesquelles le génie génétique a été
utilisé exclusivement pour l'agriculture commerciale, le premier
exemple d'un projet humanitaire l'utilisant pour résoudre un
problème de santé majeur devient maintenant une réalité.»
La carence en vitamine A menace des millions d'enfants
La carence en vitamine A est un problème de santé majeur dans de
nombreuses régions des Philippines ainsi que dans d'autres pays du
Sud. Elle entraîne notamment la cécité, des déficiences
cognitives et la mort d'enfants dont le système immunitaire est
affaibli. À l'échelle mondiale, plusieurs centaines de millions
d'enfants sont exposés à ces maladies liées aux carences.
De nombreux autres pays, comme le Bangladesh, l'Indonésie, le
Vietnam, l'Inde et la Chine, ont donc emboîté le pas aux
Philippines et ont fait des progrès considérables dans
l'introduction du riz enrichi en vitamine A.
Étapes importantes
- 1991 : M. Ingo Potrykus lance l'idée d'une variété de riz
enrichie en vitamine A pour lutter contre la malnutrition. Les
expériences commencent en 1992.
- 1993 : M. Peter Beyer, spécialiste des caroténoïdes, rejoint le
projet.
- 1999 : Les deux chercheurs présentent le prototype du Riz Doré.
Cette percée démontre qu'il est possible de reconstituer la voie
métabolique des caroténoïdes dans les grains de riz.
- 2000 : MM. Potrykus et Beyer décident de proposer que le
développement nécessaire du produit comme un projet humanitaire.
- 2005 : Le remplacement des gènes de jonquille par des gènes de
maïs augmente la teneur en provitamine A.
- 2006-2018 : Compilation de toutes les données nécessaires pour le
dossier réglementaire requis avant qu'un produit génétiquement
modifié puisse être cultivé en plein champ.
- 2021 : Les autorités philippines chargées de la biosécurité
donnent le feu vert à la culture et à la consommation du Riz Doré.
- 2022 : Début de la culture aux Philippines sous la supervision de
l'institut national de recherche sur le riz PhilRice.
Au début des années 1990, l'ancien professeur de sciences végétales
de l'ETH et son collègue Peter Beyer de l'Université de Fribourg
ont décidé de lutter contre la malnutrition - également appelée
«faim cachée» - en modifiant génétiquement le riz de manière à
ce que la plante accumule du bêta-carotène dans ses grains. Le
corps humain convertit le bêta-carotène en vitamine A, dont il a
besoin pour survivre. Cela aiderait les habitants des pays où le riz
est la principale source d'hydrates de carbone à couvrir leurs
besoins quotidiens en vitamine A.
En 1999, l'année où M. Potrykus a pris sa retraite, lui et M. Beyer
ont présenté un prototype de ce qui allait devenir le Riz Doré :
une variété de riz qui accumulait du bêta-carotène dans ses
grains grâce à une construction transférée composée de plusieurs
gènes étrangers. Les grains avaient une teinte jaune d'or : le
premier Riz Doré (GR - Golden Rice) était devenu une réalité.
Mais je suis aussi très contrarié que les retards aient fait
souffrir des millions d'enfants.
Ingo M. Potrykus
Comme la quantité de bêta-carotène contenue dans le prototype
était encore trop faible pour couvrir les besoins quotidiens en
vitamine A, M. Beyer a mis au point une deuxième variante - GR2 - en
collaboration avec une équipe de la société de technologie
agricole Syngenta. Au lieu de gènes de jonquille, les chercheurs ont
utilisé des gènes de maïs doux. Cela a conduit à une augmentation
significative de la teneur en bêta-carotène des grains de riz par
rapport au prototype.
Retardé et différé
Le Riz Doré a été controversé dès le début. Son utilisation a
été bloquée, reportée et retardée pendant des années. Des
groupes environnementaux se sont battus bec et ongles contre cette
plante et d'autres plantes génétiquement modifiées. Les
gouvernements, eux aussi, ont refusé d'approuver la culture du Riz
Doré. Entre son développement et sa culture à grande échelle, 22
ans se sont écoulés.
Aujourd'hui âgé de presque 89 ans, M. Potrykus est ravi que le Riz
Doré ait enfin été planté à grande échelle : «Je suis très
soulagé de voir enfin la culture commencer après tant d'années de
retard», déclare-t-il. Le fait que la science ait battu l'idéologie
lui procure une grande satisfaction. «Mais je suis aussi très
contrarié que ces retards aient causé des souffrances
supplémentaires à des millions d'enfants».
Le défi de la déréglementation
Dans de nombreux pays, l'allègement de la réglementation stricte
qui entoure l'utilisation des cultures génétiquement modifiées
reste un défi majeur. «Les données des Philippines sont librement
accessibles aux autres pays, ce qui facilite grandement l'élaboration
de leurs propres dossiers nationaux», explique M. Potrykus.
Mais cela demande aussi du courage, ajoute-t-il. Les autorités
philippines chargées de la biosécurité et le ministre de
l'agriculture ont eu le courage d'approuver le GR2.
Plantes de Riz Doré peu avant la récolte. (Photo : Bureau
d'information de la province d'Antique)
L'objectif est maintenant d'étendre de manière exponentielle la
culture du GR2 à 17 autres provinces soigneusement évaluées. Les
semences étant fournies à un plus grand nombre d'agriculteurs, des
études d'efficacité permettront de déterminer dans quelle mesure
la consommation de GR2 prévient la carence en vitamine A. L'objectif
est de mettre le riz en vente localement une fois la recherche
terminée.
Selon M. Potrykus, aucune autre amélioration du GR2 en termes de
vitamine A n'est prévue. «Le Riz Doré contient suffisamment de
bêta-carotène pour répondre aux besoins quotidiens de la
population».
Le riz va devenir riche en fer et en zinc
Les phytologues sont actuellement en train d'ajouter du fer et du
zinc au profil nutritionnel du GR2. Les carences en ces
oligo-éléments entraînent également de graves problèmes de
santé. C'est une autre longue histoire : au symposium de 1999
organisé à l'occasion du départ à la retraite de M. Potrykus, où
celui-ci et M. Beyer ont présenté leur Riz Doré, la doctorante
Paola Lucca a également présenté une variété de riz transgénique
plus riche en fer.
Dans de nombreux pays d'Asie du Sud et du Sud-Est, les variétés de
riz sont actuellement optimisées pour chaque pays. Au Bangladesh, le
GR2 est prêt à être semé. «Tout est prêt là-bas. Mais le
ministre de l'environnement du pays bloque le projet pour des raisons
idéologiques», explique M. Potrykus. Il est toutefois convaincu que
le ministre est à court d'arguments – et espère que la réussite
du projet Golden Rice aux Philippines sera entendue par le ministère
de l'environnement du Bangladesh.
Le projet Golden Rice a bénéficié d'un financement important de
l'ETH Zurich, de la Fondation Rockefeller et de la Fondation Bill &
Melinda Gates.