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lundi 12 décembre 2022

L'édition génomique, NGT ou NBT, en danger de moratoire à la COP15

Indifféremment appelées NGT (new genomic techniques), ou NBT (new breeding techniques pour «nouvelles techniques de sélection»), une kyrielle de nouveaux outils d'édition génomique (Crispr-Cas9, Talen, etc.) modifiant le matériel génétique d'êtres vivants ont émergé ces dernières années et ciblent en priorité les insectes et les plantes.

A la différence des OGM dits «transgéniques» qui introduisent un gène extérieur dans une plante ou un animal, ces nouvelles techniques permettent de modifier le génome d'un être vivant, sans ajout extérieur.

Leurs détracteurs parlent d'«OGM cachés» ou de «nouveaux OGM» et craignent des effets néfastes sur la biodiversité. Mais leurs partisans les voient comme des solutions pour la santé humaine, l'agriculture ou la conservation des espèces.

L'un des projets-phares est développé par la Fondation Bill & Melinda Gates pour rendre les moustiques femelles stériles au moyen de la technique du «forçage génétique» qui consiste à insérer une modification génétique sur les deux allèles d'un chromosome pour s'assurer que la modification soit transmise à l'ensemble des descendants. L'objectif est d'éradiquer le paludisme, dont les moustiques sont le vecteur, en Afrique.

Les NGT permettent également le «silençage génétique» qui inhibe certaines expressions génétiques chez les animaux ou les plantes. Les principaux poids lourds de l'agro-industrie, Bayer-Monsanto ou Syngenta, travaillent à l'élaboration de pesticides en spray d'ARN dit «interférent» qui iront neutraliser l'expression de certains gènes d'insectes. Cela permettrait de lutter contre des ravageurs de cultures tels que le doryphore qui décime les cultures de pommes de terre ou la drosophile asiatique qui s'attaque aux arbres fruitiers.

Du labo au champ
En ce qui concerne les plantes, l'utilisation des NBT permettrait d'«améliorer les plantes» en «les rendant résistantes à des virus, aux herbicides, ou de réduire leur stress hydrique», explique Christophe Robaglia, professeur en biologie à l'université Aix-Marseille et expert OGM auprès de l'Autorité européenne de sécurité des aliments.

Les défenseurs de ces NBT réclament l'autorisation de sortir ces technologies des laboratoires et de mener des essais en plein champ, notamment en Europe où ils tombent sous le coup de la règlementation des OGM dits transgéniques.

Dans l'Union européenne, le maïs MON810 de Monsanto résistant aux insectes est le seul OGM autorisé à la culture. Les produits issus des biotechnologies bénéficient d'un cadre beaucoup plus souple aux Etats-Unis, au Canada, en Argentine, au Brésil, au Japon et en Inde, notamment.

«La question n'est pas d'être pour ou contre, ce sont de simples techniques. Ce qui compte c'est l'application que l'on peut en faire et qu'il faut encadrer», ajoute M. Robaglia qui dénonce des règlements européens «obsolètes» sur les OGM et les NBT.

Moratoire
Pourtant certains à l’initiative de l'ONG française Pollinis et présentée à Montréal vendredi, les scientifiques (écologues, biologistes moléculaires, généticiens etc.) demandent le «respect du principe de précaution» à l'échelle mondiale «tant que les preuves n'auront pas été réunies établissant l'innocuité des effets directs et indirects d'une application de ces nouvelles biotechnologies génétiques, et de leurs produits, organismes et composants».

«Ces biotechnologies pourraient nuire aux populations d'insectes pollinisateurs et précipiter leur déclin» alors même qu'ils sont «essentiels à la biodiversité, aux fonctions écosystémiques, et augmentent le rendement des cultures», argumentent-ils.

C'est l'utilisation de ces techniques sur les insectes qui est la plus controversée.Les scientifiques signataires de l'appel craignent la propagation et en particulier des "transferts horizontaux de gènes" vers des espèces non-cibles, déséquilibrant les interactions entre espèces et donc l'ensemble de la biodiversité.

Les négociations de la COP15, qui dureront jusqu'au 19 décembre, portent notamment sur un éventuel moratoire. Leur issue pourrait mener soit vers une plus grande régulation soit au contraire vers une facilitation de leur usage.
Source AGIR.

jeudi 8 décembre 2022

Riz doré»: les graines ont germé

Sur l'île philippine d'Antique, plusieurs dizaines de tonnes de riz doré ont été récoltées pour la première fois cet automne. (Photo : Bureau d'information de la province d'Antique).

«Riz doré»: les graines ont germé», article de Peter Rüegg, ETH Zurich. Le titre original est The seeds have germinated | ETH Zurich. Merci à André Heitz d’avoir traduit le texte de l’anglais et de l’avoir publié sur son blog.

Pour la première fois, des agriculteurs des Philippines ont cultivé du riz doré à grande échelle et ont récolté près de 70 tonnes de grains en octobre dernier. Cette histoire presque interminable a commencé à l'ETH Zurich.

Cet automne restera probablement dans l'histoire agraire. En octobre, les agriculteurs de la province philippine d'Antique ont récolté pour la première fois une quantité substantielle de riz doré enrichi en bêta-carotène, soit un total de 67 tonnes provenant de 17 champs.

Les grains séchés et polis vont être distribués à des ménages comptant des femmes enceintes, des mères allaitantes ou des enfants d'âge préscolaire qui risquent de souffrir de maladies dues à une carence en vitamine A.

Le professeur émérite de l'ETH, Ingo Potrykus, père et inventeur du riz doré, considère sa culture aux Philippines comme une percée : «Le pas vers une utilisation pratique a enfin été franchi. Après des décennies pendant lesquelles le génie génétique a été utilisé exclusivement pour l'agriculture commerciale, le premier exemple d'un projet humanitaire l'utilisant pour résoudre un problème de santé majeur devient maintenant une réalité.»

La carence en vitamine A menace des millions d'enfants
La carence en vitamine A est un problème de santé majeur dans de nombreuses régions des Philippines ainsi que dans d'autres pays du Sud. Elle entraîne notamment la cécité, des déficiences cognitives et la mort d'enfants dont le système immunitaire est affaibli. À l'échelle mondiale, plusieurs centaines de millions d'enfants sont exposés à ces maladies liées aux carences.

De nombreux autres pays, comme le Bangladesh, l'Indonésie, le Vietnam, l'Inde et la Chine, ont donc emboîté le pas aux Philippines et ont fait des progrès considérables dans l'introduction du riz enrichi en vitamine A.

Étapes importantes
- 1991 : M. Ingo Potrykus lance l'idée d'une variété de riz enrichie en vitamine A pour lutter contre la malnutrition. Les expériences commencent en 1992.
- 1993 : M. Peter Beyer, spécialiste des caroténoïdes, rejoint le projet.
- 1999 : Les deux chercheurs présentent le prototype du Riz Doré. Cette percée démontre qu'il est possible de reconstituer la voie métabolique des caroténoïdes dans les grains de riz.
- 2000 : MM. Potrykus et Beyer décident de proposer que le développement nécessaire du produit comme un projet humanitaire.
- 2005 : Le remplacement des gènes de jonquille par des gènes de maïs augmente la teneur en provitamine A.
- 2006-2018 : Compilation de toutes les données nécessaires pour le dossier réglementaire requis avant qu'un produit génétiquement modifié puisse être cultivé en plein champ.
- 2021 : Les autorités philippines chargées de la biosécurité donnent le feu vert à la culture et à la consommation du Riz Doré.
- 2022 : Début de la culture aux Philippines sous la supervision de l'institut national de recherche sur le riz PhilRice.

Au début des années 1990, l'ancien professeur de sciences végétales de l'ETH et son collègue Peter Beyer de l'Université de Fribourg ont décidé de lutter contre la malnutrition - également appelée «faim cachée» - en modifiant génétiquement le riz de manière à ce que la plante accumule du bêta-carotène dans ses grains. Le corps humain convertit le bêta-carotène en vitamine A, dont il a besoin pour survivre. Cela aiderait les habitants des pays où le riz est la principale source d'hydrates de carbone à couvrir leurs besoins quotidiens en vitamine A.

En 1999, l'année où M. Potrykus a pris sa retraite, lui et M. Beyer ont présenté un prototype de ce qui allait devenir le Riz Doré : une variété de riz qui accumulait du bêta-carotène dans ses grains grâce à une construction transférée composée de plusieurs gènes étrangers. Les grains avaient une teinte jaune d'or : le premier Riz Doré (GR - Golden Rice) était devenu une réalité.

Mais je suis aussi très contrarié que les retards aient fait souffrir des millions d'enfants.
Ingo M. Potrykus

Comme la quantité de bêta-carotène contenue dans le prototype était encore trop faible pour couvrir les besoins quotidiens en vitamine A, M. Beyer a mis au point une deuxième variante - GR2 - en collaboration avec une équipe de la société de technologie agricole Syngenta. Au lieu de gènes de jonquille, les chercheurs ont utilisé des gènes de maïs doux. Cela a conduit à une augmentation significative de la teneur en bêta-carotène des grains de riz par rapport au prototype.

Retardé et différé
Le Riz Doré a été controversé dès le début. Son utilisation a été bloquée, reportée et retardée pendant des années. Des groupes environnementaux se sont battus bec et ongles contre cette plante et d'autres plantes génétiquement modifiées. Les gouvernements, eux aussi, ont refusé d'approuver la culture du Riz Doré. Entre son développement et sa culture à grande échelle, 22 ans se sont écoulés.

Aujourd'hui âgé de presque 89 ans, M. Potrykus est ravi que le Riz Doré ait enfin été planté à grande échelle : «Je suis très soulagé de voir enfin la culture commencer après tant d'années de retard», déclare-t-il. Le fait que la science ait battu l'idéologie lui procure une grande satisfaction. «Mais je suis aussi très contrarié que ces retards aient causé des souffrances supplémentaires à des millions d'enfants».

Le défi de la déréglementation
Dans de nombreux pays, l'allègement de la réglementation stricte qui entoure l'utilisation des cultures génétiquement modifiées reste un défi majeur. «Les données des Philippines sont librement accessibles aux autres pays, ce qui facilite grandement l'élaboration de leurs propres dossiers nationaux», explique M. Potrykus.

Mais cela demande aussi du courage, ajoute-t-il. Les autorités philippines chargées de la biosécurité et le ministre de l'agriculture ont eu le courage d'approuver le GR2.
Plantes de Riz Doré peu avant la récolte. (Photo : Bureau d'information de la province d'Antique)

L'objectif est maintenant d'étendre de manière exponentielle la culture du GR2 à 17 autres provinces soigneusement évaluées. Les semences étant fournies à un plus grand nombre d'agriculteurs, des études d'efficacité permettront de déterminer dans quelle mesure la consommation de GR2 prévient la carence en vitamine A. L'objectif est de mettre le riz en vente localement une fois la recherche terminée.

Selon M. Potrykus, aucune autre amélioration du GR2 en termes de vitamine A n'est prévue. «Le Riz Doré contient suffisamment de bêta-carotène pour répondre aux besoins quotidiens de la population».

Le riz va devenir riche en fer et en zinc
Les phytologues sont actuellement en train d'ajouter du fer et du zinc au profil nutritionnel du GR2. Les carences en ces oligo-éléments entraînent également de graves problèmes de santé. C'est une autre longue histoire : au symposium de 1999 organisé à l'occasion du départ à la retraite de M. Potrykus, où celui-ci et M. Beyer ont présenté leur Riz Doré, la doctorante Paola Lucca a également présenté une variété de riz transgénique plus riche en fer.

Dans de nombreux pays d'Asie du Sud et du Sud-Est, les variétés de riz sont actuellement optimisées pour chaque pays. Au Bangladesh, le GR2 est prêt à être semé. «Tout est prêt là-bas. Mais le ministre de l'environnement du pays bloque le projet pour des raisons idéologiques», explique M. Potrykus. Il est toutefois convaincu que le ministre est à court d'arguments – et espère que la réussite du projet Golden Rice aux Philippines sera entendue par le ministère de l'environnement du Bangladesh.

Le projet Golden Rice a bénéficié d'un financement important de l'ETH Zurich, de la Fondation Rockefeller et de la Fondation Bill & Melinda Gates.