Saccages agricoles : plus facile de «soulever la terre»
que de savoir la travailler !, source Tribune
paru dans le Point du 12 juin 2023. Ancien maraîcher et
syndicaliste agricole, Jean-Paul Pelras* dénonce la complaisance des
institutions à l’égard des ultra-violents «Soulèvements
de la terre».
Comme
eux, j'ai été maraîcher jusqu'à l'aune des années 2000 – 13
hectares de serre double paroi gonflable, production de plants,
cultures hors sol en tomates et concombres, cultures de salades et
d'artichauts en plein champ… Et puis, parce que nous étions
frontaliers avec l'Espagne, nous avons dû plier boutique, car
confrontés au jeu des importations déloyales. Depuis, maraîchage
et arboriculture dans les Pyrénées-Orientales sont réduits à
leurs portions congrues. Je sais, comme eux, ce que provoque chez le
paysan le caprice des éléments, quand la neige (comme dans les
Pyrénées-Orientales en 1992) fait s'effondrer les serres ou quand
le vent fait claquer les bâches au milieu de la RCnuit, quand la
chaudière tombe en panne, quand le forage se tarit, quand les
mercuriales s'effondrent, quand l'huissier tape à la porte, quand
plus rien n'a de prix…
Mais
je n'ai jamais vécu ce
que les maraîchers nantais viennent de vivre. Peut-être parce
qu'à l'époque, les activistes anti-agriculteurs n'étaient pas
encore adulés par certains responsables politiques, peut-être parce
que la notion de propriété était encore respectée, peut-être
parce que rentabilité et compétitivité n'étaient pas
systématiquement relayées au rang des priorités à dévoyer, à
éliminer. Peut-être
parce que ceux
qui «soulevaient la terre» étaient ceux qui
savaient la travailler. Peut-être, surtout, parce qu'il existait
encore des responsables syndicaux capables de s'indigner autrement
qu'en répétant à l'envi : « Tenez bon, nous sommes là,
nous vous avons compris ! »
De
mon temps, eh oui, il faut parler comme ça… les
énergumènes qui ont saccagé en toute impunité les exploitations
maraîchères nantaises, qu'elles soient ou non destinées à
l'expérimentation, donc à l'amélioration des productions,
n'auraient certainement jamais pu renouveler leurs exploits une
seconde fois. Cette propension à détruire tout ce qui pousse ou
contribue à faire pousser doit cesser. Car, devenue virale,
elle suscite un climat de colère qui pourrait, bien évidemment,
dégénérer. Sachant, de surcroît, que si elles ont bien évidemment
un impact économique, ces actions sont totalement contre productives
écologiquement parlant, puisqu'elles condamnent les efforts
entrepris par la recherche pour limiter l'usage en eau et
l'utilisation des produits phytosanitaires.
Droit
de réponse
Les
syndicats agricoles (excepté bien sûr celui qui cautionne, avec
l'appui politicien des leaders écologistes, les mouvements
activistes) doivent sans délai soutenir les exploitations
vandalisées et intenter des actions en justice. Ils doivent le faire
en dénonçant les saccages bien entendu, mais également les pertes
de revenu, le préjudice financier, matériel et moral. Oui, moral
comme le font certains environnementalistes quand ils évoquent les
nuisances imputées au monde agricole et la gêne occasionnée par
les pratiques champêtres qui les empêchent, soi-disant, de vivre
leurs vies d'enfants repus et gâtés.
La
FNSEA, les Jeunes Agriculteurs et la Coordination Rurale doivent,
sans plus attendre, porter plainte afin de dénoncer l'ensemble des
exactions et autres intrusions recensées, toutes filières
confondues et sur l'ensemble du territoire, depuis des années. Ils
doivent également exiger de la part de l'État, non pas du soutien,
mais des actes et des mesures coercitives à l'encontre de ceux qui
vandalisent l'outil de production. Tout comme ils doivent exiger de
l'Arcom des droits de réponse systématiques aux émissions
à charge diffusées contre l'agriculture par certains médias et
notamment ceux appartenant au service public.
Le
déferlement de mensonges, d'idées préconçues et de raisonnements
écologistes promus par des célébrités ou des journalistes
pro-environnementaux est d'en train d'influencer auditeurs et
téléspectateurs dans des proportions qui suscitent la nausée et
finiront par légitimer les actions de ceux qui, au nom de la nature,
se croient autorisés à tout casser.
La
stigmatisation, qu'elle soit active ou passive, à l'encontre du
monde agricole français est en train de précipiter le déclin de
notre ruralité et condamne, à court terme, notre autonomie
alimentaire déjà suffisamment malmenée par le flux des
marchandises importées. Quant à ceux qui détruisent les cultures,
car ils estiment qu'elles ne sont pas vivrières, nous pouvons nous
demander s'ils déploient autant d'énergie pour saccager d'autres
productions. Celles que nous qualifierons d'irrégulières !
*Jean-Paul
Pelras est écrivain, ancien syndicaliste agricole et
journaliste. Rédacteur en chef du journal L'Agri des
Pyrénées-Orientales et de l'Aude, il est l'auteur d'une
vingtaine d'essais, de nouvelles et de romans, lauréat du prix
Méditerranée Roussillon pour Un meurtre pour mémoire et
du prix Alfred-Sauvy pour Le Vieux Garçon. Son
dernier ouvrage, Bien chers tous, est paru aux Éditions MBE
(Aubrac/Espalion)