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mardi 13 juin 2023

Ils nous soulèvent le cœur

Ils nous soulèvent le cœur, source blog-notes d'Olivier Masbou paru le 13 juin 2023

Le mouvement Les Soulèvements de la terre a encore frappé. Deux serres, dont une expérimentale, du groupement les Maraichers nantais ont été saccagées ce dimanche.

Ah le joli brin de muguet, symbole du 1er mai, de la Fête du travail, du retour du printemps, de cette jolie tradition qui fait qu’une fois dans l’année tout le monde peut se mettre au coin d’une rue et vendre un brin de muguet pour gagner 3 sous ! Oui mais voilà, même la culture de cette fleur est insupportable aux yeux des activistes du mouvement Les Soulèvements de la Terre. 

A l’occasion d’une manifestation dimanche 11 juin, ils ont saccagé deux serres dans la région nantaise : une de salades, et une de muguets. « Si nous avons choisi de remplacer et réensemencer symboliquement avec du sarrasin bio le muguet industriel et les serres de la Fédération des Maraîchers Nantais, c’est parce que nous pensons que l’ensemble des terres accaparées par ce lobby devrait être restitué à la polyculture élevage et au maraîchage diversifié » écrivent les organisateurs dans tract. C’est le retour de la confiscation des terres ! 

Leur principe : «ce que vous faites ne me convient pas, donc je le détruit». Le reste est affaire de vocabulaire. Il s’agit de lutter contre « le maraichage industriel». Le muguet n’est pas arraché, mais «déplanté». Ca doit faire moins mal. Les réactions condamnant ces exactions sont nombreuses. «Ces méthodes d’action révèlent l’archaïsme paradoxal de gens qui se disent de progrès et dont l’application des principes amènerait les productions françaises vers une inéluctable confidentialité́. C’est la souveraineté́ alimentaire du Peuple Français qui est ainsi attaquée. Les salades piétinées et arrachées, les concombres piétinés sont un gaspillage indigne et une insulte à la société́ en proie à la cherté́ des productions alimentaires» écrit notamment Légumes de France. «Tout mon soutien aux maraîchers nantais victimes d’irresponsables qui défient les autorités et cherchent le chaos. Urgence à agir. Tout cela va très mal finir. Les appels au calme et à la raison portés par la FNSEA ne tiendront pas longtemps sans décisions fortes» indique Arnaud Rousseau, président de la FNSEA, sur son compte Twitter.

En relisant le tract des activistes, je repense à une phrase de Pierre Desproges : «Vous lisez Minute ? Non ? Vous avez tort, c’est intéressant. Au lieu de vous emmerder à lire tout Sartre, vous achetez un exemplaire de Minute, pour moins de dix balles, vous avez à la fois la Nausée et les mains sales».

Saccages agricoles : plus facile de «soulever la terre» que de savoir la travailler !

Saccages agricoles : plus facile de «soulever la terre» que de savoir la travailler !, source 
Tribune paru dans le Point du 12 juin 2023. Ancien maraîcher et syndicaliste agricole, Jean-Paul Pelras* dénonce la complaisance des institutions à l’égard des ultra-violents «Soulèvements de la terre».

Comme eux, j'ai été maraîcher jusqu'à l'aune des années 2000 – 13 hectares de serre double paroi gonflable, production de plants, cultures hors sol en tomates et concombres, cultures de salades et d'artichauts en plein champ… Et puis, parce que nous étions frontaliers avec l'Espagne, nous avons dû plier boutique, car confrontés au jeu des importations déloyales. Depuis, maraîchage et arboriculture dans les Pyrénées-Orientales sont réduits à leurs portions congrues. Je sais, comme eux, ce que provoque chez le paysan le caprice des éléments, quand la neige (comme dans les Pyrénées-Orientales en 1992) fait s'effondrer les serres ou quand le vent fait claquer les bâches au milieu de la RCnuit, quand la chaudière tombe en panne, quand le forage se tarit, quand les mercuriales s'effondrent, quand l'huissier tape à la porte, quand plus rien n'a de prix…

Mais je n'ai jamais vécu ce que les maraîchers nantais viennent de vivre. Peut-être parce qu'à l'époque, les activistes anti-agriculteurs n'étaient pas encore adulés par certains responsables politiques, peut-être parce que la notion de propriété était encore respectée, peut-être parce que rentabilité et compétitivité n'étaient pas systématiquement relayées au rang des priorités à dévoyer, à éliminer. Peut-être parce que ceux qui «soulevaient la terre» étaient ceux qui savaient la travailler. Peut-être, surtout, parce qu'il existait encore des responsables syndicaux capables de s'indigner autrement qu'en répétant à l'envi : « Tenez bon, nous sommes là, nous vous avons compris ! »

De mon temps, eh oui, il faut parler comme ça… les énergumènes qui ont saccagé en toute impunité les exploitations maraîchères nantaises, qu'elles soient ou non destinées à l'expérimentation, donc à l'amélioration des productions, n'auraient certainement jamais pu renouveler leurs exploits une seconde fois. Cette propension à détruire tout ce qui pousse ou contribue à faire pousser doit cesser. Car, devenue virale, elle suscite un climat de colère qui pourrait, bien évidemment, dégénérer. Sachant, de surcroît, que si elles ont bien évidemment un impact économique, ces actions sont totalement contre productives écologiquement parlant, puisqu'elles condamnent les efforts entrepris par la recherche pour limiter l'usage en eau et l'utilisation des produits phytosanitaires.

Droit de réponse

Les syndicats agricoles (excepté bien sûr celui qui cautionne, avec l'appui politicien des leaders écologistes, les mouvements activistes) doivent sans délai soutenir les exploitations vandalisées et intenter des actions en justice. Ils doivent le faire en dénonçant les saccages bien entendu, mais également les pertes de revenu, le préjudice financier, matériel et moral. Oui, moral comme le font certains environnementalistes quand ils évoquent les nuisances imputées au monde agricole et la gêne occasionnée par les pratiques champêtres qui les empêchent, soi-disant, de vivre leurs vies d'enfants repus et gâtés.

La FNSEA, les Jeunes Agriculteurs et la Coordination Rurale doivent, sans plus attendre, porter plainte afin de dénoncer l'ensemble des exactions et autres intrusions recensées, toutes filières confondues et sur l'ensemble du territoire, depuis des années. Ils doivent également exiger de la part de l'État, non pas du soutien, mais des actes et des mesures coercitives à l'encontre de ceux qui vandalisent l'outil de production. Tout comme ils doivent exiger de l'Arcom des droits de réponse systématiques aux émissions à charge diffusées contre l'agriculture par certains médias et notamment ceux appartenant au service public.

Le déferlement de mensonges, d'idées préconçues et de raisonnements écologistes promus par des célébrités ou des journalistes pro-environnementaux est d'en train d'influencer auditeurs et téléspectateurs dans des proportions qui suscitent la nausée et finiront par légitimer les actions de ceux qui, au nom de la nature, se croient autorisés à tout casser.

La stigmatisation, qu'elle soit active ou passive, à l'encontre du monde agricole français est en train de précipiter le déclin de notre ruralité et condamne, à court terme, notre autonomie alimentaire déjà suffisamment malmenée par le flux des marchandises importées. Quant à ceux qui détruisent les cultures, car ils estiment qu'elles ne sont pas vivrières, nous pouvons nous demander s'ils déploient autant d'énergie pour saccager d'autres productions. Celles que nous qualifierons d'irrégulières !

*Jean-Paul Pelras est écrivain, ancien syndicaliste agricole et journaliste. Rédacteur en chef du journal L'Agri des Pyrénées-Orientales et de l'Aude, il est l'auteur d'une vingtaine d'essais, de nouvelles et de romans, lauréat du prix Méditerranée Roussillon pour Un meurtre pour mémoire et du prix Alfred-Sauvy pour Le Vieux Garçon. Son dernier ouvrage, Bien chers tous, est paru aux Éditions MBE (Aubrac/Espalion)