Annonce : S’agissant de l’information à propos des rappels de
produits alimentaires, pour le moment, il ne faut pas faire confiance à
nos autorités sanitaires (Ministère de l’agriculture et DGCCRF). Ces deux
entités ont fait et font toujours preuve d’une incroyable légèreté et d’un
manque d’informations fiables vis-à-vis des consommateurs avec comme corollaire
une absence de transparence en matière de sécurité des aliments.
« La
science en pleine turbulence » est un article paru
dans « BfR2GO »,
1/2019, le nouveau magazine universitaire publié par le BfR.
Ce
texte est une version abrégée du rapport à la 7e conférence des
parties prenantes du BfR, qui s'est déroulée le 15 novembre 2018
dans l'auditorium de la Fondation Kaiserin Friedrich à Berlin-Mitte.
Traduction par mes soins -aa.
La
science suscite de nombreuses critiques, que ce soit à cause de
recherches falsifiées, de « journaux prédateurs » ou à
cause de résultats controversés ou impopulaires. C'est aussi une
cible de fake
news.
Comment la science peut-elle s'affirmer en période de fake
news ?
Qu'ils
soient liés à la recherche sur le climat ou à l'évaluation
sanitaire des produits phytopharmaceutiques, les arguments
scientifiquement fondés apparaissent comme de simples opinions que
vous pouvez partager ou non.
Les
faits réels sont remplacés par des connaissances perçues. La crise
de confiance dans la science était une raison suffisante pour que le
BfR discute de ces derniers développements lors d’une conférence
réunissant des experts de renom. En théorie du moins, le problème
des fake news est facile à résoudre.
« La
vérité
est
la conformité d'un discours
quoi qu’il
en
soit fait »,
cite Bernhard Kühnle, responsable du département sécurité
alimentaire et santé animale au ministère fédéral de
l'alimentation
et de l'agriculture,
tiré du dictionnaire Duden au début de la conférence.
La
science est indispensable pour trouver cette vérité, dans des
domaines tels que la protection des consommateurs. Ces
évaluations constituent une base solide pour la fiabilité des
décisions des institutions de protection des consommateurs et des
entreprises du secteur alimentaire, selon
les vues de de Kühnle,
et
elle devraient
aider
le
grand public à décider en faveur
d’une alimentation saine.
« La
science doit être renforcée et protégée en tant que source
fiable »,
a déclaré Kühnle. Cela aide à se défendre contre les fake news.
Alois Gerig (CDU/CSU), président de la commission parlementaire
(Bundestag) sur la nutrition et l'agriculture, estime que de
nombreuses personnes vivent dans une bulle des médias sociaux et
croient tout ce qu'elles y
lisent. « Elles
sont manipulées. »
Selon
Gerig, un exemple en est la discussion peu objective et parfois
hystérique des
produits phytopharmaceutiques (ou
pesticides) contenant
comme
principe actif, le
glyphosate.
Il y a eu
soudainement 80 millions d'experts en Allemagne qui étaient tous
poussés dans une direction par les médias. Parmi eux, dit Gerig, il
y a une tendance à « l'émotivation,
la moralisation et la polarisation ».
La frontière entre les faits et les avis
s'estompe et il y a moins de propos
sur
des problèmes ayant une base scientifique complexe. « Faire
la distinction entre un fait et un fake
est devenu beaucoup plus difficile à l'ère de l'internet »,
déclare Gerig.
Un
faussaire à la cour de Staline
Est-ce
qu'il y a aussi des fakes dans la science?
Le
professeur Dr. Andreas Hensel, président du BfR, connaît plusieurs
aspects d'un sujet aussi varié que fondamentalement nouveau. Dans
l’Union soviétique de Staline dans les années 30 et 40, le
biologiste russe Trofim Lyssenko a simulé des expériences censées
prouver la transformation d’espèces. La fraude n’est pas
toujours aussi évidente que lors de la manipulation de données et
de résultats de tests.
L’utilisation
aléatoire des méthodes et des résultats jusqu’à ce qu’ils
correspondent au concept (sélection des cerises) est une méthode
populaire, de même que l’interprétation unilatérale - souvent à
motivation idéologique - des résultats. Il y a divers motifs de
déception, qu'il s'agisse de l'avancement de carrière, de la lutte
pour le financement, de la pression de publication (« publier
ou périr »)
ou du maintien d'une bonne réputation. Les conséquences de la fake
science ne doivent pas être sous-estimées. La crédibilité de la
science auprès du grand public est compromise. Les résultats
d'études falsifiés mènent également à des impasses lors de
l'évaluation des risques pour la santé, par exemple, ou lors d'une
tentative de reproduction des résultats.
Évaluation
des risques
La
science est-elle en train d'échouer?
Le
professeur Wilfried Kühling de l'Université de Halle-Wittenberg et
le conseiller scientifique de l'ONG, les Amis de la terre en
Allemagne reproche à l'évaluation des risques d'être à la traîne,
citant l'exemple de la prévention de la leucémie chez les enfants à
proximité de câbles à haute tension. Selon Kühling, il a été
scientifiquement prouvé que le risque de leucémie chez les enfants
augmente considérablement à partir d'un champ magnétique d'environ
0,2 microtesla. La protection contre les champs magnétiques à
proximité des lignes électriques doit donc être considérablement
renforcée. « La science échoue-t-elle ici »,
demande Kühling. En matière de normes et de valeurs limites, le
verdict de la science ne suffit pas. En plus des experts
scientifiques, des groupes sociaux doivent être inclus. « La
solution réside dans un processus d'évaluation commun »,
déclare Kühling.
L'incertitude
est la force
Bien
que la vie soit pleine d'incertitude, nous parvenons à bien nous y
entendre. Nous attendons seulement une certitude totale de la
science. Ceux qui ne répandent pas ici une certitude absolue sont
rapidement considérés comme douteux. Certains domaines de la
recherche sur le climat sont critiqués comme étant des
fakes
parce que la science est toujours obligée de jongler avec les
possibilités.
C'est
pourtant la force de la science, de l'avis de
la
philosophe et physicienne
Rafaela Hillerbrand. « Les
déclarations scientifiques sont fiables non seulement en dépit
mais en raison de leur incertitude »,
explique la
professeur du Karlsruhe Institute of Technology. « Je
ne peux pas avoir
les mêmes exigences en matière de précision lors de la prévision
du changement climatique que je le peux avec les lois de la gravité
de Newton. »
Ceux qui discréditent la recherche pour cette raison privent de
pouvoir la méthode scientifique en tant que telle, dit Hillerbrand -
une décision dangereuse.
La
discussion sur les fakes
news
porte « moins
sur de fake
faits mais surtout sur un manque de confiance dans l'expertise »,
constate le journaliste scientifique Volker Stollorz du
Science Media Center
(voir son
interview
page 18 du
magazine « BfR2GO »,
« Ce
n’est pas toujours facile pour des néophytes de filtrer les bonnes
choses sur internet »).
Le
manque de confiance dans les experts se
joue
entre les mains de personnes puissantes ayant d'autres intérêts.
Ces personnes « ont
reconnu comment vous pouvez diffuser les choses les plus absurdes sur
les plateformes de communication si vous savez comment manipuler les
autres ».
Il s'agit généralement d'une désinformation spécifique plutôt
que de fake
news
:
« Des
informations délibérément déformées sont secrètement
introduites dans le processus de communication dans le but de tromper
et de manipuler. »
Les
fake
journaux ne signifient pas de
la
fake
science
Un
certain scepticisme vis-à-vis de la science n’existe pas seulement
dans le grand public mais aussi au sein de la communauté
scientifique elle-même, comme le documente le professeur de
neurosciences, Ulrich Dirnagl (Charité - Universitätsmedizin
Berlin) en utilisant l’exemple d’une enquête menée par le
magazine Nature. Selon ce sondage, 90% des chercheurs estiment
que les résultats scientifiques ne peuvent être crus que dans une
certaine mesure, peut-être parce que certains résultats ne peuvent
pas être répétés dans d'autres études. La critique dévastatrice
des médias influents concernant les « revues frauduleuses »
conformément à la devise « Fake science, les
faisuers de mensonges » manque cependant de propos, dit
Dirnagl.
Ce
n'est pas parce que de
la
science est publiée dans un « journal
prédateur »
qu'elle a été truquée. Selon Dirnagl, un véritable problème est
la non-publication des données, souvent parce qu'elles « ne
cadrent tout simplement pas avec ce que nous faisons ».
Selon le domaine de spécialisation, cela s'applique à 40 à plus de
50% des études, estime le médecin. La contrainte au succès fausse
également les résultats. En utilisant des astuces statistiques, les
résultats sont manipulés pour
que
l'histoire « corresponde »,
d'où vient l'expression « story
telling ».
Science
: fiable mais incertaine
Pour
Dirnagl, « l'éléphant
dans la pièce » est le terme « incertitude ».
En science - comme l'a dit de même la philosophe Rafaela Hillerbrand
- elle est au centre de tout, non pas comme une faiblesse mais comme
une force, en tant que connaissance des possibilités et des limites
de la cognition.
Dirnagl
propose que cette force devienne un sujet de discussion publique. Une
évaluation différenciée n'est toutefois pas possible dans une
« déclaration de sept secondes » ou un seul
tweet.
Le
professeur Thomas Hestermann, spécialiste des médias, de
l'Université Macromedia (Berlin et Hambourg), affirme que les gens
attendent de la science de la fiabilité et non de l'incertitude. Le
journaliste Volker Stollorz considère également la science comme
une « station d'épuration mentale » qui fournit
des connaissances comme base de la prise de décision politique.
L'affirmation de l'incertitude, en revanche, serait instrumentalisée
par la politique. La devise « Tout est incertain »
serait utilisée pour justifier de ne rien faire dans des questions
telles que le changement climatique.
Si
vous recherchez sur Internet, vous trouverez de nombreuses
« vérités ». « Il existe un
monde entier qui n'a absolument aucun intérêt pour les faits »,
déclare le président du BfR, Andreas Hensel.
Chacun
doit se demander dans quelle mesure les informations sur son propre
smartphone sont fiables. La connaissance redeviendra-t-elle
finalement une question de croyance ?
Complément du 8 décembre 2019. On lira cette brève dans Alerte Environnement, Les chercheurs critiqués quand ils ne vont pas dans le sens de l’opinion générale.