vendredi 6 décembre 2019

La science en pleine turbulence


Annonce : S’agissant de l’information à propos des rappels de produits alimentaires, pour le moment, il ne faut pas faire confiance à nos autorités sanitaires (Ministère de l’agriculture et DGCCRF). Ces deux entités ont fait et font toujours preuve d’une incroyable légèreté et d’un manque d’informations fiables vis-à-vis des consommateurs avec comme corollaire une absence de transparence en matière de sécurité des aliments.

« La science en pleine turbulence » est un article paru dans « BfR2GO », 1/2019, le nouveau magazine universitaire publié par le BfR.

Ce texte est une version abrégée du rapport à la 7e conférence des parties prenantes du BfR, qui s'est déroulée le 15 novembre 2018 dans l'auditorium de la Fondation Kaiserin Friedrich à Berlin-Mitte.
Traduction par mes soins -aa.

La science suscite de nombreuses critiques, que ce soit à cause de recherches falsifiées, de « journaux prédateurs » ou à cause de résultats controversés ou impopulaires. C'est aussi une cible de fake news. Comment la science peut-elle s'affirmer en période de fake news ?

Qu'ils soient liés à la recherche sur le climat ou à l'évaluation sanitaire des produits phytopharmaceutiques, les arguments scientifiquement fondés apparaissent comme de simples opinions que vous pouvez partager ou non.

Les faits réels sont remplacés par des connaissances perçues. La crise de confiance dans la science était une raison suffisante pour que le BfR discute de ces derniers développements lors d’une conférence réunissant des experts de renom. En théorie du moins, le problème des fake news est facile à résoudre.

« La vérité est la conformité d'un discours quoi qu’il en soit fait », cite Bernhard Kühnle, responsable du département sécurité alimentaire et santé animale au ministère fédéral de l'alimentation et de l'agriculture, tiré du dictionnaire Duden au début de la conférence.

La science est indispensable pour trouver cette vérité, dans des domaines tels que la protection des consommateurs. Ces évaluations constituent une base solide pour la fiabilité des décisions des institutions de protection des consommateurs et des entreprises du secteur alimentaire, selon les vues de de Kühnle, et elle devraient aider le grand public à décider en faveur d’une alimentation saine.

« La science doit être renforcée et protégée en tant que source fiable », a déclaré Kühnle. Cela aide à se défendre contre les fake news. Alois Gerig (CDU/CSU), président de la commission parlementaire (Bundestag) sur la nutrition et l'agriculture, estime que de nombreuses personnes vivent dans une bulle des médias sociaux et croient tout ce qu'elles y lisent. « Elles sont manipulées. »

Selon Gerig, un exemple en est la discussion peu objective et parfois hystérique des produits phytopharmaceutiques (ou pesticides) contenant comme principe actif, le glyphosate. Il y a eu soudainement 80 millions d'experts en Allemagne qui étaient tous poussés dans une direction par les médias. Parmi eux, dit Gerig, il y a une tendance à « l'émotivation, la moralisation et la polarisation ». La frontière entre les faits et les avis s'estompe et il y a moins de propos sur des problèmes ayant une base scientifique complexe. « Faire la distinction entre un fait et un fake est devenu beaucoup plus difficile à l'ère de l'internet », déclare Gerig.

Un faussaire à la cour de Staline
Est-ce qu'il y a aussi des fakes dans la science?
Le professeur Dr. Andreas Hensel, président du BfR, connaît plusieurs aspects d'un sujet aussi varié que fondamentalement nouveau. Dans l’Union soviétique de Staline dans les années 30 et 40, le biologiste russe Trofim Lyssenko a simulé des expériences censées prouver la transformation d’espèces. La fraude n’est pas toujours aussi évidente que lors de la manipulation de données et de résultats de tests.

L’utilisation aléatoire des méthodes et des résultats jusqu’à ce qu’ils correspondent au concept (sélection des cerises) est une méthode populaire, de même que l’interprétation unilatérale - souvent à motivation idéologique - des résultats. Il y a divers motifs de déception, qu'il s'agisse de l'avancement de carrière, de la lutte pour le financement, de la pression de publication (« publier ou périr ») ou du maintien d'une bonne réputation. Les conséquences de la fake science ne doivent pas être sous-estimées. La crédibilité de la science auprès du grand public est compromise. Les résultats d'études falsifiés mènent également à des impasses lors de l'évaluation des risques pour la santé, par exemple, ou lors d'une tentative de reproduction des résultats.

Évaluation des risques
La science est-elle en train d'échouer?

Le professeur Wilfried Kühling de l'Université de Halle-Wittenberg et le conseiller scientifique de l'ONG, les Amis de la terre en Allemagne reproche à l'évaluation des risques d'être à la traîne, citant l'exemple de la prévention de la leucémie chez les enfants à proximité de câbles à haute tension. Selon Kühling, il a été scientifiquement prouvé que le risque de leucémie chez les enfants augmente considérablement à partir d'un champ magnétique d'environ 0,2 microtesla. La protection contre les champs magnétiques à proximité des lignes électriques doit donc être considérablement renforcée. « La science échoue-t-elle ici », demande Kühling. En matière de normes et de valeurs limites, le verdict de la science ne suffit pas. En plus des experts scientifiques, des groupes sociaux doivent être inclus. « La solution réside dans un processus d'évaluation commun », déclare Kühling.

L'incertitude est la force
Bien que la vie soit pleine d'incertitude, nous parvenons à bien nous y entendre. Nous attendons seulement une certitude totale de la science. Ceux qui ne répandent pas ici une certitude absolue sont rapidement considérés comme douteux. Certains domaines de la recherche sur le climat sont critiqués comme étant des fakes parce que la science est toujours obligée de jongler avec les possibilités.

C'est pourtant la force de la science, de l'avis de la philosophe et physicienne Rafaela Hillerbrand. « Les déclarations scientifiques sont fiables non seulement en dépit mais en raison de leur incertitude », explique la professeur du Karlsruhe Institute of Technology. « Je ne peux pas avoir les mêmes exigences en matière de précision lors de la prévision du changement climatique que je le peux avec les lois de la gravité de Newton. » Ceux qui discréditent la recherche pour cette raison privent de pouvoir la méthode scientifique en tant que telle, dit Hillerbrand - une décision dangereuse.

La discussion sur les fakes news porte « moins sur de fake faits mais surtout sur un manque de confiance dans l'expertise », constate le journaliste scientifique Volker Stollorz du Science Media Center (voir son interview page 18 du magazine « BfR2GO », « Ce n’est pas toujours facile pour des néophytes de filtrer les bonnes choses sur internet »).

Le manque de confiance dans les experts se joue entre les mains de personnes puissantes ayant d'autres intérêts. Ces personnes « ont reconnu comment vous pouvez diffuser les choses les plus absurdes sur les plateformes de communication si vous savez comment manipuler les autres ». Il s'agit généralement d'une désinformation spécifique plutôt que de fake news : « Des informations délibérément déformées sont secrètement introduites dans le processus de communication dans le but de tromper et de manipuler. »

Les fake journaux ne signifient pas de la fake science
Un certain scepticisme vis-à-vis de la science n’existe pas seulement dans le grand public mais aussi au sein de la communauté scientifique elle-même, comme le documente le professeur de neurosciences, Ulrich Dirnagl (Charité - Universitätsmedizin Berlin) en utilisant l’exemple d’une enquête menée par le magazine Nature. Selon ce sondage, 90% des chercheurs estiment que les résultats scientifiques ne peuvent être crus que dans une certaine mesure, peut-être parce que certains résultats ne peuvent pas être répétés dans d'autres études. La critique dévastatrice des médias influents concernant les « revues frauduleuses » conformément à la devise « Fake science, les faisuers de mensonges » manque cependant de propos, dit Dirnagl.

Ce n'est pas parce que de la science est publiée dans un « journal prédateur » qu'elle a été truquée. Selon Dirnagl, un véritable problème est la non-publication des données, souvent parce qu'elles « ne cadrent tout simplement pas avec ce que nous faisons ». Selon le domaine de spécialisation, cela s'applique à 40 à plus de 50% des études, estime le médecin. La contrainte au succès fausse également les résultats. En utilisant des astuces statistiques, les résultats sont manipulés pour que l'histoire « corresponde », d'où vient l'expression « story telling ».

Science : fiable mais incertaine
Pour Dirnagl, « l'éléphant dans la pièce » est le terme « incertitude ». En science - comme l'a dit de même la philosophe Rafaela Hillerbrand - elle est au centre de tout, non pas comme une faiblesse mais comme une force, en tant que connaissance des possibilités et des limites de la cognition.

Dirnagl propose que cette force devienne un sujet de discussion publique. Une évaluation différenciée n'est toutefois pas possible dans une « déclaration de sept secondes » ou un seul tweet.

Le professeur Thomas Hestermann, spécialiste des médias, de l'Université Macromedia (Berlin et Hambourg), affirme que les gens attendent de la science de la fiabilité et non de l'incertitude. Le journaliste Volker Stollorz considère également la science comme une « station d'épuration mentale » qui fournit des connaissances comme base de la prise de décision politique. L'affirmation de l'incertitude, en revanche, serait instrumentalisée par la politique. La devise « Tout est incertain » serait utilisée pour justifier de ne rien faire dans des questions telles que le changement climatique.

Si vous recherchez sur Internet, vous trouverez de nombreuses « vérités ». « Il existe un monde entier qui n'a absolument aucun intérêt pour les faits », déclare le président du BfR, Andreas Hensel.

Chacun doit se demander dans quelle mesure les informations sur son propre smartphone sont fiables. La connaissance redeviendra-t-elle finalement une question de croyance ?

Complément du 8 décembre 2019. On lira cette brève dans Alerte EnvironnementLes chercheurs critiqués quand ils ne vont pas dans le sens de l’opinion générale.

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