jeudi 6 décembre 2018

Sécurité des aliments : Informer ou éduquer le consommateur ?


« Passer de la communication des risques à la communication de l'informations sur les aliments et à l'engagement des consommateurs », Patrick , source G. Wall et Junshi Chen. npj Science of Food volume 2, Numéro d'article: 21 (2018). npj = Nature Partner Journals.

Résumé
Les consommateurs de la plupart des pays développés ont un accès plus large que jamais à des denrées alimentaires plus sûres. Cependant, leur perception de la sécurité sanitaire de l’approvisionnement alimentaire, de l'infrastructure des contrôles et des technologies de transformation existantes et nouvelles n'est souvent pas positive. Une série d'incidents concernant des produits alimentaires très médiatisés, qui ont été gérés de manière inefficace par les autorités chargées de la réglementation et le secteur, et où il y a eu un manque d'ouverture et de transparence, ont sensibilisé une partie des consommateurs à des histoires effrayantes sur l'approvisionnement alimentaire. La confiance des consommateurs concernant (i) la sécurité des aliments, (ii) la détermination de l’industrie alimentaire à produire des denrées alimentaires sûres et (iii) la capacité des autorités de superviser la chaîne alimentaire a également été compromise. Les menaces pour la santé des consommateurs et leurs préoccupations réelles doivent être traitées avec un management efficace des risques et la protection de la santé publique doit être primordiale. Il faut également s'attaquer aux peurs et aux perceptions erronées du risque, mais il est très difficile d'y parvenir. Les compétences des spécialistes en sciences sociales sont indispensables pour mieux comprendre la perception du risque par les consommateurs, leur comportement et les déterminants de la confiance. La communication conventionnelle des risques ne réussira pas d'elle-même et des stratégies de communication plus innovantes et créatives sont nécessaires pour engager le dialogue avec les consommateurs, en utilisant tous les canaux médiatiques disponibles, de manière ouverte et transparente. Les médias numériques offrent l’occasion de révolutionner l’engagement des consommateurs sur les questions liées à la sécurité des aliments et à la nutrition.
Dans leur conclusion, les auteurs notent :
La révolution numérique devrait être perçue comme une opportunité par les autorités de chargées de la réglementation des aliments dans toutes les juridictions, plutôt que comme une menace. Si les autorités ne parviennent pas à adopter et à utiliser les nouvelles plates-formes et les nouveaux canaux de communication, elles ne feront que nuire davantage à la confiance des consommateurs. dans l'approvisionnement alimentaire, car les perceptions de la sécurité des aliments, du contrôle de la chaîne alimentaire et de l'industrie alimentaire seront fondées sur des « faits alternatifs », qui est le nouveau terme utilisé pour désigner des rumeurs, plutôt que sur des informations précises.
Il y a aussi fake news

Epidémie de salmonellose à Salmonella Enteritidis en Haute Savoie : 83 personnes concernées


Un communiqué de Santé Publique de France du 5 décembre traite de l’« Epidémie de salmonellose à Salmonella Enteritidis en Haute Savoie : investigations en cours ».
Plusieurs toxi-infections alimentaires liées à une souche de S. Enteritidis ont fait l’objet d’un signalement auprès de Santé publique France. En lien avec le Centre national de référence des Salmonella à l’Institut Pasteur, Santé publique France et l’Agence régionale de santé (ARS) Auvergne Rhône-Alpes investiguent actuellement des cas de salmonellose à Salmonella Enteritidis. 
Le point au 04/12/2018
Les premières enquêtes menées auprès de 14 personnes résidant en Haute Savoie ont permis d’établir dès le samedi 24/11/2018 qu’elles avaient toutes consommé du reblochon issue d’une même fromagerie. Ces reblochons ont fait l’objet d’un retrait et d’un rappel le 24/11/2018.
 Petit commentaire à ce stade, c’est en lisant la presse le 25 novembre 2018, et non pas via un communiqué de nos autorités sanitaires, que l’on a appris que Santé Publique France, l’agence publique chargée de protéger la santé des populations, a indiqué dimanche que 14 personnes résidant en Haute-Savoie avaient été victimes d’une salmonelle après avoir consommé des produits de La Fromagerie de la Tournette.


Par ailleurs le ministère de la santé a aussi diffusé le même communiqué que celui du ministère de l’agriculture sans préciser le nombre de personnes touchées … 
Au 04/12/2018, le CNR a pu identifier 71 souches de S. Enteritidis partageant les mêmes résultats de séquençage du génome* (Whole Genome Sequencing). Ces souches correspondent à des personnes malades résidant principalement en Rhône-Alpes (n = 53), les 18 autres se répartissant sur 10 régions. Il s’agit de 47 hommes et 24 femmes, d’âge moyen égal à 40 ans ; seuls 2 enfants de moins de 5 ans sont concernés.

Par ailleurs, 12 souches de S. Enteritidis supplémentaires isolées chez des personnes résidant en Rhône-Alpes reçues récemment par le CNR sont en cours de séquençage pour déterminer si elles partagent les mêmes caractéristiques et appartiennent au même cluster.


Parmi les 83 personnes malades identifiées à ce jour, 65 ont pu être interrogées par l’ARS Auvergne-Rhône-Alpes et Santé publique France sur leurs symptômes et leurs consommations alimentaires avant le début des symptômes. Les symptômes s’étalent du 16/09 au 19/11, avec un pic en semaine 40 (du 1er au 07/10/2018)  Quinze personnes ont été hospitalisées pour leur salmonellose : elles sont maintenant sorties et vont bien ; aucun décès n’a été rapporté. La consommation de reblochon au lait cru avant le début des symptômes est rapportée par 80% des cas confirmés par le CNR et interrogés.

Distribution des cas de salmonellose à S. Enteritidis, par date de début des symptômes et par région de résidence, Septembre-Novembre 2018 
 Les enquêtes de traçabilité des reblochons consommés sont conduites par la direction Générale de l’Alimentation et les Directions départementales de la protection des populations concernées.
Les nouveaux cas signalés par le CNR seront interrogés systématiquement afin de consolider ces informations. 

La France a notifié une alerte au RASFF de l’UE, référence 2018.3446, pour cause d’une épidémie d'origine alimentaire suspectée (Salmonella Enteritidis) d'être provoquée par du fromage au lait cru de France. L’objet de la notification a été modifié le 3 décembre 2018, car il ne s’agissait plus de prélèvements positifs de fromages, mais d’une alerte en relation avec la consommation de fromages liée à une épidémie en France.

Deux pays européens, la Belgique, le 26 novembre et l‘Allemagne, le 28 novembre, ont publié des avis de rappel, respectivement ici et ici.

En 2018, plusieurs avis de rappels ont concerné aussi le reblochon pour cause de présence de Escherichia coli O26 :
  • 11 mai : Reblochon au lait cru AOP 450 g de marque Nos régions ont du talent E.Leclerc)
  • 14 mai : Fromage AOP reblochon laitier au lait cru de toutes marques commerciales
  • 15 mai : Reblochon de Savoie laitier 450g LS de marque Reflets de France (Carrefour)
  • 15 mai : Reblochon de Savoie 450g LS de marque Fruitières Chabert
  • 15 mai : Reblochon de Savoie 450g LS de marque Itinéraires des Saveurs (Intermarché)
  • 2 juin : Demi-fromage AOP reblochon laitier de marque Chabert (vendu chez Auchan, Intermarché)
  • 2 juin : Demi-fromage AOP reblochon laitier de marque Nos Régions Ont du Talent (E. LECLERC)
  • 2 juin : Demi reblochon de Savoie AOP, environ 240g de marque Saveurs de nos Régions (Lidl)
  • 22 juin : Demi reblochon de Savoie AOP, environ 240g de marque Saveurs de nos Régions (Lidl)
  • 22 juin : Demi-Reblochon de Savoie laitier de marque AUCHAN Mmm
  • 22 juin : 1/2 Reblochon de Savoie laitier de marque CHABERT
  • 22 juin : Reblochon de Savoie Fruitières de marque CHABERT
  • 22 juin : 1/2 Reblochon de Savoie laitier de marque REFLETS DE France (Carrefour)
Le ministère de la santé avait communiqué le 15 mai 2018, Consommation de fromage reblochon au lait cru : cas de syndromes hémolytiques et urémiques liés à Escherichia coli O26.

Enfin la présence de salmonelles dans le reblochon avait fait l’objet de deux avis distincts de rappel en 2017, 4 août et 5 octobre.

Echos de l’atelier de la DGCCRF sur la sécurité des produits : Les attentes des consommateurs sont surtout « bougez-vous et vite ! »


J’avais déjà parlé des avis de rappels de produits alimentaires absents du site de la DGCCRF ou publiés très en retard dans « Les attentes des consommateurs sont que la DGCCRF fasse le job dans la diffusion des avis de rappel ! »

Quelques échos ou perles, comme il vous plaira, lus sur le compte twitter de la DGCCRF à propos de l’atelier du 5 décembre 2018, « atelier DGCCRF sur la Sécurité des produits : quelles attentes des consommateurs, quelles réponses des acteurs ? »
La rapidité est un facteur de succès de la gestion de crise. Il faut anticiper avant la survenance de l'incident. Ce sujet anime toutes les entreprises. Il faut également un travail chez les distributeurs pour identifier le meilleur système de blocage possible.
Réponses possibles,
Il faudrait surtout commencer par Carrefour. Pour les avis de rappel, Carrefour a une spécialité sur son site Internet, il ne signale jamais la date de l’avis de rappel … mais seulement jusqu’à quand l’affichage sera présent …
« Il faut également un travail chez les distributeurs », oui mais quand ?
Beaucoup d'entreprises ont des efforts à faire en matière de mise en œuvre de leurs obligations légales. Une offre de formation en matière de gestion de crise doit se développer. Elle doit rappeler le risque financier encouru et le risque de sanction  pénale.
Réponses possibles,
Vous pouvez sanctionner une entreprise qui ne respecte pas ses obligations, mais il manque dans le volet pénal pour le chef d’entreprise, l’éventualité de peines de prison, si récidive ou retard à la réalisation de mesures nécessaires à la fin d’une crise …
Bien entendu les « entreprises des efforts à faire en matière de mise en œuvre de leurs obligations légales », il faudrait aussi que les autorités montrent l’exemple, et c’est loin d’être le cas … avec la baisse des effectifs chargés des contrôles …
Le niveau de défiance est à un niveau jamais atteint. Les fausses rumeurs accentuent ce phénomène. Chaque crise a créé une nouvelle organisation entre les acteurs.
Réponses possibles,
Fausses rumeurs, malheureusement cela existera toujours car la transparence de nos autorités en termes de communication est plus que limitée, alors les fausses rumeurs tentent de remplacer la communication institutionnelle.
« Le niveau de défiance est à un niveau jamais atteint », certes, mais à qui la faute, puisqu’on nous dit selon le ministère de l’agriculture, « La France possède l'un des meilleurs systèmes de sécurité sanitaire des aliments. »
Maintenant, si l’on doit se mettre à croire ce que disent les ministres …
On ne meurt quasiment plus aujourd'hui de toxi-infections alimentaires mais la perception dominante des occidentaux est que les risques alimentaires sont aujourd'hui bien plus élevés que par le passé.
Réponses possibles,
Le nombre de décès liés aux toxi-infections alimentaires collectives est fort heureusement faible, 3 décès en 2016, mais selon une étude publiée en janvier 2018 de l’InVS, « Les résultats indiquent que la morbi-mortalité attribuable aux maladies infectieuses d’origine alimentaire reste élevée en France, avec 1,28 à 2,23 millions de cas annuels, dont 15 800 à 21 200 hospitalisations et entre 232 et 358 décès. »
Les consommateurs attendent aujourd'hui une réponse 3.0, cad agile, rapide et collaborative. Les entreprises qui ne sauront pas s'adapter perdront des parts de marché face à celles qui garantiront de manière transparente et moderne la sécurité et la traçabilité.
Une internaute a répondu :
Non, je suis consommateur et le 3.0 me passe 10000 pieds au-dessus. Mes attentes sont simples : une nourriture saine, locale et durable. Soyez simples, vous aussi, plutôt que de vous payer de mots.
La première leçon à tirer des crises récentes est l'exigence d'une transparence accrue par rapport aux risques. Elle doit s'exercer en temps réel pour correspondre au tempo auquel le consommateur s'est habitué.
Un internaute bien intentionné a répondu,
Dans le cas où vous avez perdu la mémoire, la transparence est votre rôle principal et donc votre responsabilité lorsque vous dites que l'on l'a perdue, il s'agit donc de VOUS remettre en cause mais pas les consommateurs.
J’ajouterais surtout que les avis de rappels ne doivent mettre plusieurs jours avant d’être publiés … sinon, à quoi bon informer les consommateurs …