Mme
la présidente.
La parole est à Mme Delphine Batho, pour exposer sa question,
no 954,
relative aux risques des pesticides pour la santé humaine et la
biodiversité.
Mme
Delphine Batho.
Le ministre de l’agriculture et de l’alimentation n’est pas là.
Mais j’espère tout de même obtenir une vraie réponse du
Gouvernement.
La
Cour des comptes a rendu public ce matin son référé en date du
27 novembre 2019, constatant l’échec total de la politique
des plans Écophyto, c’est-à-dire de la politique menée par ce
gouvernement comme les précédents pour réguler l’usage des
pesticides. Malgré 400 millions injectés dans ces plans,
l’utilisation de pesticides est en augmentation de 24 % pour
la seule année 2019. S’agissant du glyphosate, le Gouvernement a
enterré sa propre promesse de l’interdire ; s’agissant des
fongicides SDHI – inhibiteurs de la succinate
déshydrogénase –, au sujet desquels 450 scientifiques
demandent l’application du principe de précaution, il fait la
sourde oreille. Et il renonce à protéger les riverains victimes des
épandages. En plus, comble du comble, alors que l’Assemblée
nationale a voté, par l’article 83 de la loi du 30 octobre
2018, l’interdiction de la fabrication en France de certains
pesticides, le sommet de l’État apporte son soutien au lobby des
pesticides pour remettre en cause l’application de cette
disposition.
On
est aujourd’hui dans une urgence de santé publique, et dans une
urgence totale pour la biodiversité et l’ensemble du vivant. Mes
questions vont donc être extrêmement simples.
Oui
ou non, le glyphosate va-t-il être interdit à la fin de cette année
comme le Président de la République s’y était engagé ?
Oui
ou non, le Gouvernement, qui en a le pouvoir, va-t-il suspendre
l’autorisation de mise sur le marché des SDHI ?
Oui
ou non, le Gouvernement va-t-il tirer les conséquences de l’échec
complet des plans Écophyto en appliquant, enfin, l’article L. 253-7
du code rural qui permet à l’État de suspendre immédiatement
l’utilisation de toute substance dangereuse ?
Mme
la présidente.
La parole est à M. le secrétaire d’État auprès du ministre
de l’intérieur.
M.
Laurent Nunez, secrétaire
d’État auprès du ministre de l’intérieur.
Madame la députée, je vous prie d’excuser le ministre de
l’agriculture et de l’alimentation, que je représente en
l’occurrence pour répondre à vos questions sur le sujet crucial
qu’est celui de la réduction des produits phytosanitaires.
Je
tiens à rappeler que la politique du Gouvernement est claire :
les enjeux de santé publique sont non négociables ; dès qu’un
produit présente un risque pour l’homme, il est retiré du marché
– nous avons ainsi décidé unilatéralement, en 2018 et en
2019, d’interdire le métam-sodium, l’époxiconazole, les
néonicotinoïdes et les substances apparentées alors même que nos
voisins européens continuent à les utiliser ; notre objectif
est de réduire de 50 % les quantités de produits
phytosanitaires en 2025 et de sortir du glyphosate pour une majorité
d’usages d’ici la fin 2020.
Deux
principes guident notre action : celui du respect de la science
et celui de la transparence.
En
ce qui concerne la science, je tiens à dire dans cet hémicycle
qu’il est hautement regrettable que des parlementaires s’en
prennent à l’ANSES, l’Agence nationale de sécurité sanitaire
de l’alimentation, de l’environnement et du travail, alors que
son expertise et son niveau d’indépendance ne sont plus à
prouver. Si les parlementaires ne font plus confiance à la science,
ne savent plus distinguer les notions de risque et de danger, où
allons-nous ?
Quant
à la transparence, le Gouvernement s’est engagé à communiquer
les données de vente pour 2019 dès le printemps 2020.
Pour
ce qui est spécifiquement de vos questions, je vous informe que
l’ANSES rendra prochainement, à la demande du Gouvernement, un
avis concernant les substances les plus préoccupantes, et il sera
évidemment étudié avec attention. S’agissant du glyphosate, les
ministres Élisabeth Borne et Didier Guillaume sont mobilisés, aux
côtés de l’ANSES et de l’INRAE – l’Institut national
de recherche en agriculture, alimentation et environnement –
pour procéder à une évaluation comparative, objectivée et
robuste. L’ANSES précisera sur ce fondement, d’ici fin juin, les
usages pour lesquels le glyphosate pourrait être interdit, en
veillant à ne pas mettre les agriculteurs dans l’impasse, ni
techniquement ni économiquement.
En
conclusion, je sais que, pour certains, tous les moyens sont bons
pour interdire tous les produits phytosanitaires – c’est le
cas lorsque des maires imposent des zones de non-traitement de
150 mètres autour des habitations, mais aussi s’agissant du
SDHI ou du glyphosate. Il ne s’agit pas d’aller du jour au
lendemain vers le zéro pesticide : faut-il rappeler que près
de 25 % de la quantité totale de substances actives est
constituée de produits dits naturels, utilisables en agriculture
biologique ? Le Président de la République a dit que notre
agriculture était une agriculture d’excellence, qui doit certes
bouger, mais également être défendue haut et fort.
Mme
Delphine Batho.
Les agriculteurs sont eux aussi victimes de ces produits, qui
affectent leur santé. À écouter votre réponse, on peut se dire
que, malheureusement, le lobby des pesticides a de beaux jours devant
lui ! Vous direz au ministre de l’agriculture de réviser ses
fiches puisque, par exemple, en ce qui concerne les néonicotinoïdes,
ce n’est pas ce gouvernement qui les a interdits mais le Parlement,
à l’encontre d’un exécutif qui ne voulait rien faire. Il en est
de même s’agissant de la science : je rappelle que le Centre
international de recherche sur le cancer, dépendant de
l’Organisation mondiale de la santé, a classé le glyphosate comme
cancérogène probable, et qu’il n’appartient ni au gouvernement
français ni à l’ANSES de s’asseoir sur une décision du CIRC et
de l’OMS. En tout cas, hélas, chacun aura compris le sens de votre
réponse : tout continue comme avant et la santé publique
demeure secondaire. (Applaudissements
sur les bancs du groupe FI.)
NB : Une partie du texte est soulignée en gras par mes soins.
Invité
à s’exprimer dans le cadre du bilan du contrat de solutions,
Didier Guillaume a annoncé qu’il était favorable à l’utilisation
du glyphosate, faute de mieux, pour maintenir l’agriculture de
conservation.
Le
vent serait-il en train de tourner ? Lors du premier bilan du
« contrat de solutions », ce 4 février, le
ministre de l’Agriculture Didier Guillaume a plaidé en faveur d’un
retour au pragmatisme et à la science, face « à la société
civile qui en demande toujours plus sans savoir et qui, au lieu de se
baser sur la science, s’informe sur les réseaux sociaux ».