«Biodiversité : de la science au sociétal», source article
de Marcel Kuntz paru le jeudi 1er juin 2023 dans Factuel.
Le
terme « biodiversity » semble avoir été
utilisé pour la première fois par Raymond F. Dasmann, un biologiste
de la conservation, dans son livre A different kind of
country paru en 1968. Il s’agit d’une contraction de
diversité biologique. La vraie mise en avant de ce néologisme est
due au botaniste Walter G. Rosen qui organisa un congrès sur ce
thème, qui eut lieu en 1986 à Washington.
Le culte de la «biodiversité» se pratique même pour les plantes
les plus communes (c’est-à-dire des espèces qui prolifèrent !)
et dans les endroits les plus improbables, comme ici aux abords de la
rocade sud de Grenoble. Il est significatif que le terme quasi
religieux de «respect» soit utilisé, et non «protection» qui
ferait davantage apparaitre ici l’inanité de la démarche.
Le
terme fut propagé largement les années suivantes pour servir de
slogan scientifique, à la fois pour sensibiliser à la perte de
cette diversité biologique et pour … obtenir des financements pour
la biologie de la conservation.
Quand
un terme scientifique devient un concept sociétal et un enjeu
politique
Le
Sommet de la Terre de Rio en 1992 inaugura le succès planétaire du
néologisme « biodiversité » et lui permis de faire une
entrée fulgurante dans la sphère politique : il devint l’un
des thèmes de la bataille culturelle menée par l’écologie
politique, qui l’éleva au rang de concept sociétal. Pour le
professeur de Droit David Takacs, certains y ont vu l'occasion de
changer notre « carte mentale » par rapport à
la nature en en faisant un « instrument pour une
défense zélée d'une construction sociale particulière de la
nature ».
Son
vrai sens scientifique (diversité dans la nature, à différents
niveaux, voir ci-dessous) est oublié dans l’utilisation médiatique
du terme, devenu synonyme de Nature et un élément incontournable du
culte panthéiste qui lui est rendu en notre ère postmoderne.
Parler
de « la » biodiversité » n’a souvent aucun sens
Scientifiquement,
l'important dans biodiversité, c'est la diversité ! La
diversité des écosystèmes, donc de paysages. Dans les écosystèmes,
la diversité d'espèces et de leurs interactions. Et à l'intérieur
des espèces, la diversité du patrimoine génétique. Sans oublier
« les services rendus » par la biodiversité
(pollinisation, fixation de l’azote atmosphérique, du gaz
carbonique, épuration des eaux, etc.) : en 1997, Robert
Costanza et collègues (Université du
Maryland) dans une publication dans Nature l’évaluait
à 33 000 milliards de dollars par an.
Pour
identifier si le terme « biodiversité » est utilisé
dans un sens scientifique (ou pas…), un petit test est facile à
réaliser : relire les phrases contenant le terme en omettant
« bio », pour ne conserver que « diversité ».
Si la phrase a encore du sens, il est raisonnablement utilisé dans
son sens scientifique ; dans le cas contraire il s’agit de son sens
sociétal.
Vouloir
« restaurer la biodiversité » n’a aucun sens
Quelle
serait la référence ? Il y a 10 ans, 100 ans, 1000 ans ?
C’est tout simplement une construction idéologique (une vision
fixiste de la nature, de type Jardin d’Eden). En revanche, on peut
tenter d’éviter de nouvelles pertes, ce qui est important, que
l’on considère la valeur écologique, patrimoniale, esthétique,
ou économique de la nature.
Cependant,
il faudra toujours faire des compromis entre les intérêts des
humains et la biodiversité. Nous serions ainsi bien inspirés de ne
pas dicter notre vision du monde aux pays pauvres, qui aspirent
légitimement à l’être moins…
On
peut en penser ce que l’on veut, mais il faut reconnaitre que c’est
également un choix idéologique que de donner, chez nous, la
priorité absolue aux « abeilles » par
rapport à la production agricole. Notamment de betteraves sucrières,
dont les champs menacent en réalité peu les pollinisateurs, même
si le risque d’effet secondaire n’est jamais nul lorsque l’on
cherche à protéger les récoltes contre les maladies ou les
ravageurs, c’est-à-dire des effets nuisibles de la
biodiversité...
La
diversité des utilisations politiques de la « biodiversité ».
Mettre
en avant « la biodiversité » vous situe confortablement
dans le Camp du Bien. Ce qui n’incite pas à faire preuve de
nuances. Quels que soient les progrès réalisés, notamment en
Europe, la biodiversité ne peut être que « menacée »,
« effondrée », etc., dans la narration dominante. De
même, le terme « écosystème » est généralement
associé à « fragile » ou « sensible ».
L’autoflagellation est aussi une caractéristique de notre ère
postmoderne… Sont rarement mentionnés les progrès réalisés :
les nombreuses espèces réintroduites, les milieux désormais
protégés, la multiplication des normes environnementales
(quelquefois idéologiques), etc.
Pour
certains scientifiques aussi (nous aurons l’occasion d’y
revenir…), les interprétations catastrophistes de leurs études
leur fournissent des arguments pour revendiquer de nouveaux
financements pour leurs recherches.
La
biodiversité n’a cependant pas le même sens lorsqu’elle est vue
par les pays riches ou par les pays pauvres. Pour ces derniers, elle
est souvent source de maladies et de pertes de récoltes. Pour les
premiers, il existe une « crise de la biodiversité »,
intimement associée dans le récit médiatique à la « crise
climatique ». Il faudrait donc s’engager dans une trajectoire
soutenable, ce qui n’est pas faux. Cependant, la démarche porte en
elle les causes de son échec si elle n’est conçue que comme une
nouvelle façon de remettre en cause le « capitalisme »,
ou dans une version moins radicale « le modèle économique
fondé sur la croissance », qui de plus ne serait pas assez
vertueux, égalitaire, etc. La première menace pour la biodiversité ne niche-t-elle pas dans
les utopies politiques ?
Marcel Kuntz est biologiste, directeur
de recherche au CNRS, enseignant à l’Université Grenoble-Alpes,
et Médaille d’Or 2017 de l’Académie d’Agriculture de
France. Son dernier ouvrage : De la déconstruction au
wokisme. La science menacée (VA Editions). première
menace pour la biodiversité ne niche-t-elle pas dans les utopies
politiques ?