Bien
évidemment, il ne sera pas question du malaise paysan ou d’agribashing au menu des vœux du Président de la République ce
soir à la télévision, ce n’est pas un scoop de vous le dire,
mais raison de plus pour en parler encore et encore … car je ne
vois de sujet plus important pour l'identité de notre pays !
Voici donc « Aux
racines du malaise paysan »,
un
article
paru sur le site agri-mutuel du 31 décembre 2019 et je suis très
heureux de le diffuser en intégralité en cette fin
d’année.
ooOOoo
Bousculés
sur les marchés mondiaux, questionnés dans leurs pratiques par la
société, les agriculteurs français vivent un malaise grandissant,
qu'ils ont exprimé à plusieurs reprises cette année et dont
l'« agribashing »
n'est que la partie émergée.
Deux
chiffres traduisent le recul du monde paysan : alors que les
agriculteurs représentaient quelque 30 % de la population active au
lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la ferme France, fragilisée
par les crises successives, pèse aujourd’hui moins de 3 % des
actifs.
L’agriculteur
« a été pendant très longtemps célébré, il a été
reconnu, à un moment donné, un peu comme le symbole de la nation
française en train de se moderniser. La France était avant tout un
pays de paysans. Les agriculteurs ont en mémoire cette
histoire-là », souligne François Purseigle, sociologue du
monde agricole.
90 %
des ruraux ne sont pas paysans
Plus
cuisant encore, les paysans, longtemps fiers de nourrir un pays qui
se targue de gastronomie, sont devenus une minorité jusque dans les
campagnes : « l’essentiel des gens habitent autour
des métropoles voire assez loin, donc 90 % des ruraux ne sont
pas paysans. Du coup, il y a des problèmes de cohabitation entre des
personnes qui n’ont pas du tout le même imaginaire. Il y a une
concurrence d’usage du territoire », explique Jean Viard,
directeur de recherche associé Sciences Po-CNRS.
« On
a toujours été un peu en décalage, avec un rythme de vie différent
(…) mais depuis quelques années, on vit un isolement, on vit cette
frustration à côté des gens avec qui on habite, avec qui on va à
l’école. On est devenu des gens limite fréquentables, des
empoisonneurs », témoigne Olivier Coupery, agriculteur en
polyculture élevage, et éleveur de chevaux, à Montfort-L’Amaury
(Yvelines).
Alors
que les associations antispécistes n’ont de cesse de dénoncer les
mauvais traitements sur les animaux d’élevage, Olivier Coupery qui
est visé par une pétition de riverains, aimerait, dans une forme de
boutade, « qu’on prenne en compte le bien-être de
l’agriculteur, le bien-être de l’éleveur ».
Conséquences d’une arrivée des néo-ruraux : les demandes de
faire taire Maurice le coq sur l’île d’Oléron, ou de déplacer
les vaches et leur fumier trop odorant dans le Cantal.
Dénigrement
systématique
Ces
injonctions, qui se sont multipliées devant les tribunaux, ne sont
cependant que les manifestations les plus folkloriques d’un
phénomène dénoncé par la FNSEA : l’« agribashing »
ou le dénigrement systématique des pratiques agricoles. La révolte
du monde paysan contre cette mise à l’index a mené des centaines
d’agriculteurs à manifester en tracteur sur les routes ces
derniers mois, jusqu’au blocage du périphérique parisien le 27
novembre. Sont qualifiés d’agribashing autant les intrusions de
militants anti-viande dans les élevages (« 71 actes
délictueux » depuis le début de l’année selon le
gouvernement) que la remise en question de l’utilisation des
produits phytosanitaires.
Pour
lutter contre les intrusions, la gendarmerie a créé fin 2019 la
cellule spécialisée Demeter. Mais face à la demande d’une
meilleure régulation des produits phytosanitaires, le gouvernement a
lancé une concertation sur les zones de non traitement (ZNT) où
toute pulvérisation est interdite, et a finalement annoncé fin
décembre sa décision sur la distance d’épandage des pesticides
par rapport aux habitations.
La
montée en puissance des question environnementales dans la société
n’est pas circonscrite à la France : en Allemagne, des
milliers d’agriculteurs ont manifesté le 22 octobre contre les
réglementations du gouvernement en matière de climat et de réforme
agricole, qui menacent selon eux l’existence de leur activité.
Trois semaines plus tôt, les paysans néerlandais avaient provoqué
1 000 kilomètres d’embouteillages, estimant être devenus les
boucs émissaires de la lutte contre le réchauffement climatique.
Les
normes toujours plus drastiques, des produits d’importation
toujours plus nombreux
« Les
néo-ruraux sont venus dans les conseils municipaux et ont amené un
regard plus critique que constructif », témoigne Jérôme
Régnault, co-fondateur du numéro vert « Ici la terre »,
ligne ouverte pour retisser des liens en répondant aux questions du
grand public.
Mais,
« ce serait un tort de réduire les symptômes de la crise
agricole à la question de l’agribashing. Ce qui est sûr, c’est
qu’un certain nombre de controverses portées notamment par des
groupes sociaux ou une partie de la société peut venir renforcer
des crises à la fois économiques et morales », souligne
François Purseigle. « On a des agriculteurs qui doivent
s’adapter à la concurrence mondiale et donc être
super-productifs, ce qui est moins bien accepté par la société ;
ça a créé une première zone de tension. Ce qui rajoute une touche
de tension, c’est le changement climatique : la société
française et une partie des citoyens sont de plus en plus conscients
qu’il y a des enjeux de changements climatiques majeurs et que
l’agriculture a une part de responsabilité », souligne
Bertrand Valiorgue, professeur de stratégie des entreprises à
l’Université de Clermont-Ferrand.
Sommés
de monter en gamme et de réduire l’utilisation de produits
phytosanitaires lors des états généraux de l’alimentation,
les agriculteurs ont très mal vécu ce qu’ils considèrent comme
un double discours du gouvernement, qui dans le même temps invite
des pays moins regardants en termes sanitaires et environnementaux à
inonder de leurs produits moins chers les étals français, y compris
en bio.
Si
l’accord de libre-échange UE-Mercosur semble pour l’heure
enterré en France, le Ceta, accord de libre-échange avec le Canada,
d’ores et déjà expérimenté et en discussion au Parlement, a
également été un motif de grogne ces derniers mois, d’autant que
les produits français sont déjà malmenés sur des marchés
mondialisés.
Comme
le rappelait en juin l’économiste Philippe Chalmin, depuis la fin
des quotas européens qui garantissaient un prix stable aux
producteurs, « nous sommes dans un monde agricole de plus en
plus marqué au coin de l’instabilité des prix et des marchés.
Les prix agricoles dépendent peu, presque pas du tout, des prix
payés par le consommateur », mais plutôt des cours non
seulement nationaux et européens, « mais de plus en plus
internationaux ». En d’autres termes, c’est la
coopérative néo-zélandaise Fonterra qui fait la pluie et le beau
temps sur les prix mondiaux du lait, et l’influence des achats de
porcs des Chinois se fait sentir jusqu’au marché de Plérin en
Bretagne.
22,1 %
des agriculteurs sous le seuil de pauvreté en 2016
Cette
volatilité des cours, alliée aux aléas climatiques, a laissé sur
le carreau plus d’un exploitant agricole, malgré une tentative de
rééquilibrage des prix sur le marché intérieur avec la loi
Alimentation qui n’a eu guère d’effet pour l’instant sur le
revenu des agriculteurs.
Selon
une étude de l’Insee, 22,1 % d’agriculteurs se trouvaient
sous le seuil de pauvreté en 2016, ce qui en fait la profession la
plus exposée. L’institut note également que 19,5 % des
agriculteurs n’ont eu aucun revenu, voire ont été déficitaires,
en 2017. « Les agriculteurs sont encore en phase de mutation
avec un double mouvement à l’intérieur : vous avez le
développement d’une agriculture bio et de proximité, qui
représente déjà au moins 20 % des exploitations, et celui des
grosses exploitations qui peuvent investir dans les terres et la
technologie ». Et il reste les agriculteurs « formés
à la chimie et à la mécanique » qui ont 35 à 60 ans et
« ont des problèmes pour investir dans la transformation de
leur modèle », détaille Jean Viard.
Dans
ce contexte, « un regard accusateur, qui peut devenir
agressif, ça peut être la goutte d’eau qui fait qu’on commet
l’irréparable. Le fait que ça puisse amener un collègue au
suicide, on le vit très, très mal », déclare à l’AFP
Jérôme Régnault, céréalier et apiculteur dans les Yvelines.
Il
y a eu 372 suicides de paysans en 2015 contre 150 cas en moyenne par
an entre 2007 et 2011, selon les statistiques les plus récentes de
la sécurité sociale agricole, la MSA.
Ce
climat mortifère a été porté sur la place publique par le film
« Au
nom de la terre »
où Guillaume Canet incarne un agriculteur poussé au suicide. Le
film a été un succès public et tutoyait début décembre les 2
millions d’entrées après 11 semaines d’exploitation.
Le
documentaire, plus confidentiel, de Sophie Loridon « Lucie
après moi le déluge »,
témoignant de la rude existence dans une petite exploitation
ardéchoise au long du XXe siècle, a pour sa part engrangé 15 000
entrées en 2019. Après le multi-césarisé « Petit paysan »,
ces succès montrent que les Français se sentent encore concernés
par la question agricole. « Il y a quand même derrière la
question des controverses qui entourent l’agriculture un intérêt
profond pour la question agricole (…). Aujourd’hui encore,
peut-être même plus qu’hier, bon nombre de Français se pressent
dans des salons agricoles et sont attentifs et attachés à cette
profession », selon François Purseigle.
Complément du 11 janvier 2020. On lira sur Alerte Environnement, Notre agriculture est vertueuse mais elle va mourir ...
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