Et nous voilà, assis dans le vide, à respirer la chaleur sirupeuse
qui descend des garrigues et vient mourir dans cette lumière
pulvérulente, portée par le vent marin, qui inonde déjà la proue
des jardins.
Au village, on charge les sacs de soufre à l’arrière des
fourgonnettes, les hommes reviendront vers midi, ils passeront un peu
de vinaigre sur leurs paupières pour atténuer le feu que laisse la
poudre jaune au fond des yeux. Ils s’installeront ensuite dans la
fraicheur de la cuisine qui donne sur la rue.
La suie tombe des cheminées, les mains de la grand-mère sentent
l’ail, la tomate et le savon de Marseille, les légumes sont posés
sur le marbre de l’évier. Nous sommes au cœur des années 70-80,
quelque part dans le Midi de la France, en Roussillon, où le soleil
tambourine.
Ici, la vigne pousse au milieu des vergers, les premières laitues
sont parfois plantées entre les ceps et ils n’ont pas fini de
récolter la sucrine d’un côté qu’ils sèment déjà les navets
de l’autre. Pas un mètre carré ne se perd, le coup de rotavator
gagne sur le chemin. À la nuit tombée, les tours d’eau en aval du
canal se négocient parfois à coups de bêche ou à coups de poings.
Les camions, les remorques, les fourgons qui partent au marché à 4
heures du matin sont chargés, jusqu’au sommet des ridelles, de
pèches, d’abricots, de tomates, de melons, d’aubergines, de
haricots… Les villages comptent des dizaines de commerçants, les
ouvriers logent où ils peuvent, il y a du travail pour tout le monde
et les saisonniers reviennent d’une année sur l’autre.
C’était il y a 40 ans, ce n’est rien 40 ans. Les chemins étaient
entretenus, les fossés étaient curés, les ruisseaux et les
rivières débarrassés des embâcles, les agriculteurs, les
artisans, les commerçants étaient pompiers volontaires et
laissaient leurs récoltes, leurs chantiers, leurs affaires quand, au
clocher de l’église, le tocsin retentissait.
La friche n’existait pas car la terre faisait vivre les gens d’ici,
tous les gens d’ici. Les écologistes non plus n’existaient pas,
à part dans le discours de quelques “hippies” qui repartaient
avant les premiers froids.
Et puis, le rouleau compresseur des importations déloyales a
traversé les Pyrénées, a usurpé nos marchés, a bénéficié de
la bénédiction des politiciens et, en moins de deux décennies, a
vidé nos vignes, nos vergers, nos jardins.
Le fenouil sauvage, l’ambroisie, le chénopode, le lierre, l’ortie,
le séneçon, l’herbe des pampas, le coquelicot, le pourpier, le
roseau, le genêt, et, entre autres plantes invasives, l’acacia ont
colonisé les terres arables, les chemins se sont refermés, les
agriculteurs sont devenus employés municipaux ou ont trouvé du
travail en ville, les commerçants ont plié boutique, les artisans
ont fermé leurs ateliers, les vieux ne sortent plus leurs chaises le
soir venu pour prendre le frais.
Et partout, partout la friche avance, qui entoure les lotissements,
héberge le gibier, le rat, le serpent, le frigo abandonné, le petit
trafic de drogue à la nuit tombée, l’allumette qui finira par
tout emporter.
40 ans, ce n’est pas grand-chose 40 ans. Mais cela suffit pour
sacrifier un territoire avec, de surcroît, des environnementalistes
qui, pour le préserver, prônent son ensauvagement, la protection de
quelques orchidées et l’interdiction, sur plusieurs hectares, de
travailler les terres où l’une d’elle a été repérée.
Parce qu’ils sont venus un matin avec leurs voitures, leurs longues
vues, leurs herbiers, leurs éprouvettes, leurs carnets, traquer le
scarabée disparu et le lézard ocellé, l’économie doit désormais
s’incliner face au dogme de ceux qui préfèrent aux parcelles
cultivées les étendues enherbées.
40 ans, ce n’est pas grand-chose 40 ans, avec la quasi
disparition des produits phytosanitaires qui protégeaient les
cultures des maladies et des ravageurs, l’interdiction de nettoyer
les rivières, celle de désherber avec des produits qui laissaient
les chemins propres et, de facto, nous gardaient des incendies, celle
de recueillir l’eau dans des retenues pour irriguer les productions
et combattre le feu.
40 ans et nous en sommes là à redouter
chaque jour ce désastre qui défigure les campagnes et chasse les
populations. Oui, nous en sommes là à compter sur des avions pour
contenir les flammes et à faire prendre tous les risques aux
pompiers pour éteindre les brasiers.
En Gironde comme ailleurs, spontanément, les agriculteurs sont venus
prêter main forte, avec leurs tracteurs, leurs citernes, leur bon
sens, leur énergie, leur volonté. Alors, évidemment, il ne
faudrait pas poser cette question qui va encore soulever le tollé et
l’indignation. Mais, parce que je peux vous parler, sans que les
coutures ne se voient, de ce qu’étaient nos campagnes voilà
encore 40 ans, je me demande aujourd’hui où étaient, ces derniers
temps, les responsables écologistes au moment de combattre les
incendies. Ces responsables qui, depuis Paris ou Bruxelles, depuis
leurs bureaux climatisés et quelques plateaux télévisés,
décident, sans savoir ce qu’il en coûte de sauver un pays quand
les hommes sont partis et qu’il se met à brûler !
Aux lecteurs du blog
La
revue PROCESS
Alimentaire
censure pour une triste question d’argent les 10 052 articles
initialement publiés gracieusement par mes soins de 2009 à 2017 sur
le blog de la revue, alors que la revue a bénéficié de la manne de
la publicité faite lors de la diffusion de ces articles. La revue
PROCESS
Alimentaire
a fermé le blog et refuse tout assouplissement. Derrière cette
revue, il faut que vous le sachiez, il y a une direction aux éditions
du Boisbaudry, pleine de mépris, et un rédacteur en chef complice !