A
rebours de ce reportage, un
article du journal La Croix du 16 janvier fait le point sur le
Covid-19
et
«Les
liens entre élevage intensif et épidémies sont exceptionnels»
Entretien
Avec
40 actions prévues dans plusieurs villes de France samedi 16
janvier, l’association L214 entend alerter sur le lien entre
élevage intensif et risque épidémique pour les humains. Ce lien
est-il avéré ? L’analyse de Daniel Marc, vétérinaire et
chercheur en infectiologie/virologie moléculaire à l’Inrae
(Institut national de recherche
pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement)
La
Croix :
Dans quelle mesure les activités d’élevage sont-elles une cause
de transmission des virus ?
Daniel
Marc : Un
agent infectieux ne naît jamais à partir de rien. Que ce soit,
Ebola, le VIH au
XXe siècle ou la rougeole il y a probablement quelques siècles, les
virus nous viennent toujours des animaux. Il peut venir d’un
contact direct avec l’hôte premier, c’est par exemple le cas du
sida avec les chimpanzés. Il y a les contaminations qui se font par
un hôte intermédiaire, à travers lequel le virus s’adapte à
l’homme, ce qui est le cas, par exemple, des coronavirus (le SARS
de 2003 s’était ainsi adapté chez la civette). Enfin, on peut
être contaminé par la piqûre d’un vecteur, c’est-à-dire d’un
insecte piquant, à l’image du virus Zika ou de la fièvre jaune
transmis par les moustiques.
Dès
lors, il est logique que certaines zoonoses – les maladies
transmissibles entre les animaux et l’être humain – nous soient
arrivées à travers l’élevage mais c’est loin d’être la
norme.
Peut-on
quantifier le nombre d’épidémies dans l’histoire récente qui
nous viennent de l’élevage intensif ?
D.
M. :
Aujourd’hui,
le discours à la mode, qui parle beaucoup aux jeunes générations,
vise à remettre en question l’élevage intensif. On veut faire
croire que c’est la cause de tout, y compris des épidémies.
Il
y a des précédents, certes, mais ce sont des exceptions. J’en
vois essentiellement deux. La pandémie grippale à virus influenza
A(H1N1) de 2009, par exemple, a été le fruit d’un assemblage
viral de plus de dix ans entre des souches virales d’origine
aviaire, des souches porcines et une souche humaine qui s’est
constitué chez le porc. C’est au sein des élevages porcins qu’il
a pu trouver une forme qui s’adapte à nous et qu’il s’est
répandu dans la population.
L’autre,
c’est le virus Nipah qui a fait une centaine de morts en Malaisie
en 1998. Il s’est aussi transmis de la chauve-souris à l’homme à
travers des élevages de porcs. Dans ce cas-là, les élevages
porcins avaient été construits sur des zones déforestées qui
empiétaient sur le milieu naturel des chauves-souris.
Changer
notre modèle agricole n’aurait donc pas d’impact sur le risque
épidémique ?
D.
M. : À
mon sens, élevage intensif ou extensif, cela ne change rien. Dans
les deux cas, c’est le fait d’être en contact avec les animaux
qui explique la transmission, pas leur nombre ou leurs conditions
d’élevage. On a même un paradoxe en ce moment avec l’épidémie
de grippe aviaire. Elle touche essentiellement le Sud-Ouest parce
qu’on y pratique l’élevage de canards en plein air et que le
virus vient du monde sauvage. En revanche, les élevages intensifs de
volailles, très nombreux dans toute l’Europe, en sont protégés
car ils sont confinés.
L’une
des explications, c’est que nous sommes sept milliards d’êtres
humains contre deux milliards au début du XXe siècle. Nous avons
une densité de population beaucoup plus forte et l’augmentation
des flux de biens et de personnes permet aux agents infectieux de se
répandre en quelques jours sur tous les continents, notamment par
les transports aériens.
Ceci
étant dit, une épidémie restera un fait exceptionnel et difficile
à prévoir, à l’image d’un volcan qui entre en éruption ou
d’un séisme. Si on en croit les sources historiques écrites
datant d’avant le XXe siècle, on remarque qu’il y a trois à
quatre épidémies grippales par siècle environ, et ce, bien avant
la naissance de notre modèle agricole.
Je
pense qu’il faut vivre avec ce risque et répondre sur le plan
scientifique. On a déjà réussi à éradiquer des virus, comme la
variole (c’était en 1978). C’est un fait exceptionnel, qui n’a
été permis que par une volonté de tous les acteurs concernés et
une confiance absolue dans la science et dans la vaccination.
NB :
L’image est issue d’un article intitulé, Une
histoire de cochon : miracle contre l'élevage intensif au XIIIe
siècle.