vendredi 2 juin 2023

«Biodiversité : de la science au sociétal» par Marcel Kuntz

«Biodiversité : de la science au sociétal», source article de Marcel Kuntz paru le jeudi 1er juin 2023 dans Factuel.

Le terme « biodiversity » semble avoir été utilisé pour la première fois par Raymond F. Dasmann, un biologiste de la conservation, dans son livre A different kind of country paru en 1968. Il s’agit d’une contraction de diversité biologique. La vraie mise en avant de ce néologisme est due au botaniste Walter G. Rosen qui organisa un congrès sur ce thème, qui eut lieu en 1986 à Washington.

Le culte de la «biodiversité» se pratique même pour les plantes les plus communes (c’est-à-dire des espèces qui prolifèrent !) et dans les endroits les plus improbables, comme ici aux abords de la rocade sud de Grenoble. Il est significatif que le terme quasi religieux de «respect» soit utilisé, et non «protection» qui ferait davantage apparaitre ici l’inanité de la démarche.

Le terme fut propagé largement les années suivantes pour servir de slogan scientifique, à la fois pour sensibiliser à la perte de cette diversité biologique et pour … obtenir des financements pour la biologie de la conservation.


Quand un terme scientifique devient un concept sociétal et un enjeu politique
Le Sommet de la Terre de Rio en 1992 inaugura le succès planétaire du néologisme « biodiversité » et lui permis de faire une entrée fulgurante dans la sphère politique : il devint l’un des thèmes de la bataille culturelle menée par l’écologie politique, qui l’éleva au rang de concept sociétal. Pour le professeur de Droit David Takacs, certains y ont vu l'occasion de changer notre « carte mentale » par rapport à la nature en en faisant un « instrument pour une défense zélée d'une construction sociale particulière de la nature ».

Son vrai sens scientifique (diversité dans la nature, à différents niveaux, voir ci-dessous) est oublié dans l’utilisation médiatique du terme, devenu synonyme de Nature et un élément incontournable du culte panthéiste qui lui est rendu en notre ère postmoderne.


Parler de « la » biodiversité » n’a souvent aucun sens
Scientifiquement, l'important dans biodiversité, c'est la diversité ! La diversité des écosystèmes, donc de paysages. Dans les écosystèmes, la diversité d'espèces et de leurs interactions. Et à l'intérieur des espèces, la diversité du patrimoine génétique. Sans oublier « les services rendus » par la biodiversité (pollinisation, fixation de l’azote atmosphérique, du gaz carbonique, épuration des eaux, etc.) : en 1997, Robert Costanza et collègues (Université du Maryland) dans une publication dans Nature l’évaluait à 33 000 milliards de dollars par an.
Pour identifier si le terme « biodiversité » est utilisé dans un sens scientifique (ou pas…), un petit test est facile à réaliser : relire les phrases contenant le terme en omettant « bio », pour ne conserver que « diversité ». Si la phrase a encore du sens, il est raisonnablement utilisé dans son sens scientifique ; dans le cas contraire il s’agit de son sens sociétal.

Vouloir « restaurer la biodiversité » n’a aucun sens
Quelle serait la référence ? Il y a 10 ans, 100 ans, 1000 ans ? C’est tout simplement une construction idéologique (une vision fixiste de la nature, de type Jardin d’Eden). En revanche, on peut tenter d’éviter de nouvelles pertes, ce qui est important, que l’on considère la valeur écologique, patrimoniale, esthétique, ou économique de la nature.

Cependant, il faudra toujours faire des compromis entre les intérêts des humains et la biodiversité. Nous serions ainsi bien inspirés de ne pas dicter notre vision du monde aux pays pauvres, qui aspirent légitimement à l’être moins…

On peut en penser ce que l’on veut, mais il faut reconnaitre que c’est également un choix idéologique que de donner, chez nous, la priorité absolue aux « abeilles » par rapport à la production agricole. Notamment de betteraves sucrières, dont les champs menacent en réalité peu les pollinisateurs, même si le risque d’effet secondaire n’est jamais nul lorsque l’on cherche à protéger les récoltes contre les maladies ou les ravageurs, c’est-à-dire des effets nuisibles de la biodiversité...


La diversité des utilisations politiques de la « biodiversité ».
Mettre en avant « la biodiversité » vous situe confortablement dans le Camp du Bien. Ce qui n’incite pas à faire preuve de nuances. Quels que soient les progrès réalisés, notamment en Europe, la biodiversité ne peut être que « menacée », « effondrée », etc., dans la narration dominante. De même, le terme « écosystème » est généralement associé à « fragile » ou « sensible ». L’autoflagellation est aussi une caractéristique de notre ère postmoderne… Sont rarement mentionnés les progrès réalisés : les nombreuses espèces réintroduites, les milieux désormais protégés, la multiplication des normes environnementales (quelquefois idéologiques), etc.

Pour certains scientifiques aussi (nous aurons l’occasion d’y revenir…), les interprétations catastrophistes de leurs études leur fournissent des arguments pour revendiquer de nouveaux financements pour leurs recherches.

La biodiversité n’a cependant pas le même sens lorsqu’elle est vue par les pays riches ou par les pays pauvres. Pour ces derniers, elle est souvent source de maladies et de pertes de récoltes. Pour les premiers, il existe une « crise de la biodiversité », intimement associée dans le récit médiatique à la « crise climatique ». Il faudrait donc s’engager dans une trajectoire soutenable, ce qui n’est pas faux. Cependant, la démarche porte en elle les causes de son échec si elle n’est conçue que comme une nouvelle façon de remettre en cause le « capitalisme », ou dans une version moins radicale « le modèle économique fondé sur la croissance », qui de plus ne serait pas assez vertueux, égalitaire, etc. La première menace pour la biodiversité ne niche-t-elle pas dans les utopies politiques ?

Marcel Kuntz est biologiste, directeur de recherche au CNRS, enseignant à l’Université Grenoble-Alpes, et  Médaille d’Or 2017 de l’Académie d’Agriculture de France. Son dernier ouvrage :  De la déconstruction au wokisme. La science menacée (VA Editions).  première menace pour la biodiversité ne niche-t-elle pas dans les utopies politiques ?

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