Dira-t’on un jour, tout ça pour ça ?
Cela y ressemble fortement !
13 424 produits (références et lots) ont été rappelés depuis
plus d’un an en France, selon la DGCCRF,
et surtout en lisant l’article du Pr Narbonne, ci-dessous, ces
questions nous viennent à l’esprit, tout cela aurait-il pû ou dû
être évité ?
Il ne s’agit donc pas d’une
crise sanitaire pouvant affecter les consommateurs mais simplement
d’un problème de conformité réglementaire d’utilisation d’un
procédé non autorisé en Europe qui doit se réglé par des mesures
administratives au niveau des importations. De plus les évaluations
des risques sanitaires ne doivent pas se faire selon la
réglementation actuelle qui n’est pas adaptée au cas particulier
du traitement des denrées sèches par l’ETO.
«Aliments
contaminés par l’oxyde
d’éthylène
: quelle est la réalité des risques ?» est
un article écrit par Jean
François Narbonne. Docteur ès
Sciences (Toxicologie), Professeur honoraire de l’Université de
Bordeaux, ancien Directeur du groupe de Toxicologie de l’UMR CNRS
5255, Ancien expert auprès de l’ANSES, du Conseil de l’Europe et
de l’UNEP/OMS.
Le
blog reproduit plusieurs éléments de cet article paru sur
le site de
l’Association
Toxicologie-Chimie. Je
remercie un lecteur attentif du blog de m’avoir signalé cet
article. Tous
les liens de l’article ci-dessous sont de mon fait.
En
allant sur ce lien,
vous pourrez lire plusieurs autres articless
sur l’oxyde d’éthylène.
1.
L’alerte
A
la fin du mois d’aout 2020, la Belgique puis l’Allemagne ont
effectué un signalement auprès du réseau d’alerte rapide
européen pour les
denrées alimentaires et les aliments pour
animaux
(RASFF) sur la
présence
d’oxyde d’éthylène (ETO)
dans des graines de sésame. Des analyses complémentaires réalisées
au mois d’octobre ont montré une contamination étendue des
graines de sésame, en particulier celles provenant d’Inde. Les
concentrations étaient généralement de l’ordre de 0,5 à 10
mg/kg. Les signalements de contaminations concernent au moins de 3 000
tonnes de sésame sur les 60 000 tonnes de graines de sésame
importées d’Inde chaque année par l’UE, dont la moitié sont
bio. Ces signalements ont déclenché une cascade de rappel de
produits tels que : farines, fromage, graines, houmous et
tartinables, plats préparés, pains, purées de sésame, céréales,
burgers, confiseries, épices, biscottes. Depuis plusieurs années,
les produits en provenance d’Inde font l’objet de demandes
pressantes de la Commission européenne en matière d’hygiène. En
cause, des contaminations par des salmonelles, des résidus de
matières non sensés se trouver dans les graines, etc. mis en
évidence dans les 5 ou 6 dernières années. L’UE a donc fait
pression pour que l’Inde respecte mieux les exigences sanitaires.
Les opérateurs locaux ont alors vraisemblablement eu recours au
traitement par l'ETO qui a également été détecté dans des
graines de sésame en provenance de Bolivie et d'Ethiopie, ainsi que
dans des épices et aromates de Turquie, de Tanzanie, du Sri Lanka,
d'lndonésie, d'Egypte, du Maroc et des Pays-Bas. Les conséquences
médiatiques dans un contexte de pandémie mondiale ont suscité des
craintes irraisonnées chez les consommateurs : «Alimentation,
présence d’un pesticide : 7000 références retirées des rayons»
; «Sésame contaminé : Pourquoi le
bio est touché». Pour comprendre
cette crise il faut connaître les données scientifiques et
techniques du problème.
2.
Les traitements de désinfection
Les
techniques classiques de décontamination des denrées alimentaires
par la chaleur ont leurs limites puisque certains germes présentent
une résistance au système de stérilisation classique. Leur
élimination nécessite l'utilisation de conditions spéciales
(chauffage à 120°C, hautes pressions) car les spores résistent par
la synthèse d'une protéine qui leur permettent de survivre dans une
eau bouillante. Du fait de la sensibilité des poudres alimentaires à
la chaleur, les procédés de décontamination athermiques chimiques
(fumigations) et physiques (irradiation, UV, hautes pressions,
lumière pulsée...) semblent plus appropriés car ils permettent
d’éviter les dégradations thermiques des qualités
organoleptiques et des propriétés nutritionnelles. Très longtemps
utilisée, la fumigation consiste à appliquer, sur les poudres, des
gaz tels que l’oxyde d’éthylène, l’oxyde de propylène, le
phosphure d’hydrogène et le bromure de méthyle qui sont des
composés engendrant des réactions d’alkylation et provoquant
ainsi la destruction ou l’inactivation des micro-organismes.
Utilisée jusqu’en 1980, la fumigation des poudres alimentaires
présentait de nombreux inconvénients, notamment la production de
composés nouveaux (néoformés), ayant une toxicité inférieure à
celle des agents primaires (éthylène glycol, chloro-2 éthanol,
épichlorhydrine...).
3.
Oxyde d’éthylène
et 2-chloroéthanol – Informations générales
Il
s’agit d’un gaz produit par oxydation de l’éthylène, de façon
naturelle par la flore microbienne, soit de façon industrielle par
catalyse en présence d’argent. Ce gaz sert à la synthèse de
composés comme l’éthylène glycol, certains gaz propulseurs,
additifs de carburants, formulations de pesticides, matières
plastiques. Il est ou a été utilisé dans la synthèse ou comme
intermédiaire de synthèse de nombreux produits …. L’oxyde
d’éthylène (ETO) a été utilisé comme agent de stérilisation
de matériel médical et comme insecticide pendant une quarantaine
d’années. Cet usage est maintenant interdit dans l’UE. Comme
fumigant, il reste en usage dans différents pays hors UE pour son
rôle de biocide dans le stockage des denrées, essentiellement des
farines, des amendes, des fruits secs et des confiseries en Europe et
aux Etats-Unis. L’ETO est aussi utilisé pour la stérilisation et comme
traitement antifongique et antibactérien dans certains produits
comme les épices, la poudre de curry et des noix de coco
déshydratées. La stérilisation nécessite des doses plus élevées
que les traitements insecticides mais concerne des aliments peu
consommés en quantité. Techniquement, l’ETO est utilisé en
mélange avec du CO2 dans des installations dédiées et sécurisées.
Le principal produit de dégradation de l’ETO est le
2-chloroéthanol (2-CE) ou éthylène chlorohydrine, qui se forme
quand l’ETO réagit avec le chlore (Na Cl) qui se trouve dans les
matrices alimentaires traitées.
4.
Problème du cadre législatif et réglementaire
Si
l’ETO est un puissant toxique pour les travailleurs exposés, la
toxicité pour les produits traités doit être considérée sous un
aspect très différent. Dans le cas de stérilisation de matériel
médical par exemple, l’exposition du consommateur peut venir d’un
certain relargage au moment de l’utilisation, d’ETO adsorbé sur
les matériaux plus ou moins poreux (en plastique par exemple). Ceci
peut en particulier concerner du matériel jetable à usage unique,
conservé sous emballage étanche et qui pourrait induire une courte
exposition au moment de l’ouverture pour utilisation. Dans le cas
de stérilisation de produits alimentaires secs, comme des graines ou
des épices, le problème est différent car si le but est aussi
d’éliminer de graves dangers biologiques (bactéries et virus)
fréquents dans les pays producteurs (Inde Pakistan, Egypte,
Afrique…), l’ETO a pu être faiblement adsorbé sur les matrices.
Cependant ayant un point d’ébullition de 10,4°C, l’ETO
s’évapore au cours des phases de stockage, de dilution et de
chauffage éventuels dans le cadre des processus de fabrication des
produits finis. Ainsi on ne détecte plus d’ETO dans les produits
bruts traités ou dans les produits finis mais on trouve le produit
néoformé, le 2-CE, dont la toxicité n’a plus rien à voir avec
celle de l’ETO. Si on veut trouver une comparaison pertinente, on
peut se référer au traitement de stérilisation des denrées par
ionisation. Dans ce cas l’agent biocide est le radical hydroxy OH.,
généré par radiolyse de l’eau présente dans la matrice. Cette
entité extrêmement réactive de l’oxygène, est aussi hautement
cancérigène par réaction avec l’ADN des cellules vivantes (donc
aussi pour les opérateurs non protégés). Dans les matrices
alimentaires ce radical induit la formation de composés néoformés
issus essentiellement de la radiolyse des lipides (aldéhydes,
oxycholestérol…) qui entrent dans l’évaluation des risques pour
les consommateurs et dans l’estimation de la balance bénéfices
/risques. Dans ce cas la toxicité propre du rayonnement ionisant
n’entre pas en ligne de compte dans cette évaluation. Dans le cas
du traitement par l’ETO, la forme active de l’oxygène est
l’époxyde porté par l’éthylène qui du fait de sa réactivité
sur les entités biologiques vivantes, a son effet biocide mais
induit sur les matrices alimentaires «inertes» la formation du 2-CE
qui est le composé néoformé majeur. On pourrait aussi faire un
parallèle avec les traitements thermiques de pasteurisation ou
stérilisation où on considère la toxicité éventuelle des
composés néoformés ingérés par le consommateur (produits de
Maillard, lipides oxydés, acrylamide, furanes…). Il semble donc
que le cadre réglementaire lié au classement de l’ETO comme
pesticide paraît à première vue, comme un peu décalé par rapport
à un procédé de décontamination des denrées alimentaires. Pour
comprendre ce décalage, il faut rappeler les contextes réglementaire
et toxicologique.
4.1.
Réglementation
D’un
point de vue légal, les résidus d’ETO sont considérés comme des
pesticides. En effet, la Directive
2009/128/CE a instauré un cadre communautaire d’action pour
parvenir à une utilisation des pesticides compatible avec le
développement durable. Les pesticides sont : *D’une part les
produits phytopharmaceutiques au sens du règlement
(CE) n°1107/2009 ; *D’autre part les produits biocides au sens
du règlement
(CE) 528/2012. -Les produits biocides sont destinés à détruire,
repousser ou rendre inoffensifs les organismes nuisibles, à en
prévenir l’action ou à les combattre de toute autre manière par
une action autre qu’une simple action physique ou mécanique.
Exemples : désinfectants, produits de protection, produits de lutte
(insecticides, rodenticides), peintures antisalissure sur les
bateaux, etc. -Les produits phytopharmaceutiques permettent de
protéger les végétaux en détruisant ou éloignant les organismes
nuisibles indésirables ou en exerçant une action sur les processus
vitaux des végétaux. Exemples : insecticides, fongicides,
herbicides, acaricides... Ainsi, les deux catégories de pesticides,
biocides et produits phytopharmaceutiques, sont définies par leurs
usages et non leurs formulations chimiques.
Dans
le cadre du traitement de désinfection des denrées alimentaires,
l’ETO est donc classée comme un biocide figurant sur la
liste de l’ECHA comme TP2
(désinfectant). Cependant en Europe, l’utilisation pour la
désinfection des denrées alimentaires n’est pas autorisée (ECHA,
2020). La réglementation
pesticide (EC) No 396/2005 précise que les limites maximales
applicables aux résidus de pesticides (LMR) présents dans ou sur
les denrées alimentaires et les aliments pour animaux d’origine
végétale et animale sont exprimées comme la somme de la matière
active et de ses métabolites. Pour l’ETO la LMR concerne donc la
somme ETO + son métabolite le 2-CE, exprimés en équivalent ETO. La
LMR est de 0,02 mg/kg valeur de la LOQ (limite
de quantification).
Si
on prend la réglementation dans son expression, on voit qu’elle
concerne les résidus présents «dans ou sur les denrées
alimentaires». Or l’expérience issue des cas historiques de
contamination par l’ETO (des milliers de dosages depuis le «début
de la crise» en 2019) montre que dans les résultats analytiques
exprimés en ETO + 2-CE, l’ETO est inférieur à la LOQ, la seule
présence détectée est celle du 2-CE. Ceci s’explique très
simplement par la volatilité de l’ETO à température ambiante et
donc à son dégagement rapide au cours du stockage des denrées et
de leur transformation, surtout si le process comporte une phase de
chauffage du fait de son point d’ébullition de 10,4°C alors que
celui du 2-CE est de 129°C. Dans le produit fini, seul le composé
néoformé par réaction de l’ETO avec le Cl présent dans les
matrices alimentaires est détectable. Ainsi la réglementation
«pesticide» base l’évaluation des risques sanitaires sur
une substance l’ETO, à laquelle le consommateur n’est pas exposé
! L’ évaluation des risques sanitaires devrait logiquement être
basée sur le 2-CE, substance néoformée réellement présente.
La
réglementation sur les biocides paraît pertinente quand le produit
de traitement reste présent dans ou sur la denrée alimentaire,
par-contre elle ne l’est plus quand le produit de traitement
disparait rapidement et que ne persistent que les produits néoformés.
De
même si la toxicité des métabolites est inconnue ou peu
documentée, l’assimilation de leur toxicité à celle de la
substance parente est pertinente (par précaution), elle n’est plus
dans le cas inverse. Or il existe une réglementation qui tient
compte de la disparition de la substance de traitement au cours d’un
procédé : C’est celle qui différencie les auxiliaires
technologiques des additifs. En effet leur définition précise que :
«Les auxiliaires technologiques sont
des substances, non consommées comme ingrédients alimentaires en
soi, mais utilisées lors du traitement ou de la transformation de
matières premières, de denrées alimentaires ou de leurs
ingrédients afin de répondre à un objectif technologique donné».
En fait la France est l'un des seuls pays européens à préciser les
conditions d'évaluation, d'autorisation et d'utilisation de ces
auxiliaires via le décret
n° 2011-509 du 10 mai 2011 et l'arrêté
du 7 mars 2011.
On
voit donc que les autorités françaises sont capables d’adapter
les règlements quand la législation européenne ne prend pas en
compte des contextes spécifiques.
Cependant
si un auxiliaire technologique «disparaît» au cours d’un
traitement technologique il induit la formation de composés
néoformés qui peuvent avoir leur propre toxicité. Dans ce cas, le
cadre réglementaire le plus adapté est celui appliqué pour
l’évaluation des effets des traitements technologiques sur les
matrices alimentaires couvert par le règlement
(CE) n°258/97 (catégorie 6/f) concernant les «nouveaux
aliments ou novel foods».
Il s’agit en effet les «aliments
et ingrédients alimentaires auxquels a été appliqué un nouveau
procédé de production qui n’est pas couramment utilisé, lorsque
ce procédé entraîne dans la composition ou la structure des
aliments ou des ingrédients alimentaires des modifications
significatives de leur valeur nutritive, de leur métabolisme, ou de
leur teneur en substances indésirables».
Dans le cadre, de nouveaux procédés de décontamination (comme la
lumière pulsée ou les hautes pressions), les questions instruites
par les agences nationales sont les suivantes : - Evaluation de
l'efficacité du traitement pour la décontamination de surface des
produits ; - Evaluation de l’impact du procédé sur la qualité
sanitaire et les caractéristiques nutritionnelles des
produits. C’est ce contexte réglementaire qui semble le plus
approprié dans le cadre du traitement des aliments secs par l’ETO.(...)
Conclusion
Il
ne s’agit donc pas d’une crise sanitaire pouvant affecter les
consommateurs mais simplement d’un problème de conformité
réglementaire d’utilisation d’un procédé non autorisé en
Europe qui doit se réglé par des mesures administratives au niveau
des importations. De plus les évaluations des risques sanitaires ne
doivent pas se faire selon la réglementation actuelle qui n’est
pas adaptée au cas particulier du traitement des denrées sèches
par l’ETO. On a vu qu’en son temps, l’administration Française
avait su adapter la réglementation au cas particulier des
auxiliaires technologiques. La réglementation la plus pertinente est
celle de l’évaluation des procédés technologiques introduite en
1997 dans le cadre de la directive «Novel Foods». On ne voit
pas pourquoi les procédés plus anciens ne seraient pas évalués
sur les mêmes critères.
Il
est étonnant que devant un tel décalage entre la perception et la
réalité des risques, les opérateurs des filières alimentaires,
les assureurs des lourdes opérations de rappel, les experts des
agences et des organismes de recherche, les journalistes spécialisés
ou même les hommes politiques conscients, n’aient pas alertés les
administrations en charge de l’application des règlements.
Aux lecteurs du blog
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