Voici
une étude sur la séroprévalence du virus de l'hépatite E chez les
donneurs de sang en Corse
Référence
Capai Lisandru, Hozé Nathanaël, Chiaroni Jacques, Gross Sylvie, Djoudi Rachid, Charrel Rémi, Izopet Jacques, Bosseur Frédéric, Priet Stéphane, Cauchemez Simon, de Lamballerie Xavier, Falchi Alessandra, Gallian Pierre. Seroprevalence of hepatitis E virus among blood donors on Corsica, France, 2017. Euro
Surveill.
2020;25(5):pii=1900336.
https://doi.org/10.2807/1560-7917.ES.2020.25.5.1900336
Contexte
Avec
une population de 338000 habitants en 2018, la Corse est une grande
île française (8680 km2)
située en mer Méditerranée dans le sud-est de la France
métropolitaine. Le but de l'étude était d'étudier la
séroprévalence du virus de l'hépatite E (VHE) chez des donneurs de
sang volontaires de Corse, une zone considérée comme une zone de
forte prévalence et d'évaluer le niveau d'immunité de la
population ainsi qu'une analyse fine de la prévalence dans les
districts corses.
Discussion
En
2011 et 2012, une enquête nationale (utilisant le test
Wantai)
a identifié une hétérogénéité géographique dans la
distribution du statut sérologique des IgG anti-VHE chez les
donneurs de sang volontaires en France métropolitaine, et la Corse
faisait partie des zones où la séroprévalence était la plus
élevée enregistrée (62 %).
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Figatelli |
Le
ficatellu, une saucisse locale de foie de porc, a été
officiellement identifié comme une source de contamination d'origine
alimentaire par le VHE, mais l'impact réel de la consommation de
ficatellu sur l'épidémiologie du VHE est inconnu et d'autres
sources potentielles de contamination restent à explorer. Ici, nous
avons terminé l'étude susmentionnée en effectuant une analyse
spécifique d'un nouvel échantillon plus important de donneurs de
sang corse.
Entre
septembre 2017 et janvier 2018 (période sans activité touristique
importante), nous avons recruté 2 705 donneurs de sang résidant en
Corse dont 1 518 (56,1%) testés positifs pour les IgG anti-VHE. Cela
a confirmé la forte endémicité du VHE en Corse.
D'autres
zones à forte prévalence ont été identifiées en Europe à l'aide
du même test IgG anti-VHE, à savoir le centre de l'Italie (région
des Abruzzes, 49%) [46] et le sud-ouest de la France (région
Midi-Pyrénées, 52,5%).
L'analyse
des données brutes indique que la séroprévalence du VHE est plus
élevée chez l'homme, constat qui a été précédemment décrit
dans l'analyse univariée mais non multivariée, et également plus
élevé chez les individus nés en Corse. Il a été précédemment
proposé que ces différences puissent s'expliquer par des facteurs
sociologiques (profession spécifique, chasse, etc.), mais il
n'existe à ce jour aucune explication factuelle qui tienne compte de
la forte prévalence générale chez les hommes et les femmes et
également de la différence entre les sexes.
L'association
entre l'antigène des leucocytes humains (HLA) ou les antigènes des
groupes sanguins et les maladies infectieuses a été documentée
dans la littérature mais, à notre connaissance, n'a jamais été
étudiée pour l'infection par le VHE. Ici, nous n'avons pas
identifié un tel lien entre les groupes sanguins ABO, Rhésus et
Kell et la présence d'anticorps anti-HEV.
Les
titres d'anticorps sont généralement faibles, avec 77,2%, 81,6% et
85,9% des donneurs ayant des titres d'IgG anti-VHE inférieurs à 5,
7 et 10 UI/mL, respectivement. La séroprévalence augmente avec
l'âge, sauf chez les personnes de plus de 60 ans environ. Dans nos
modèles, ce dernier peut s'expliquer soit par une force infectieuse
variable avec l'âge (mais cela n'est pas étayé à ce jour par des
informations épidémiologiques ou sociologiques) ou par une perte
d'anticorps spécifiques dans le temps. Des études antérieures ont
montré que les taux d'anticorps diminuent avec le temps et chez
certains sujets, les IgG anti-VHE peuvent disparaître après un
suivi variant entre 1 et 22 ans. Une étude récente auprès de
donneurs de sang du centre de l'Italie utilisant le test Wantai a
rapporté un taux de séroconversion VHE de 2,1 pour 100
personnes-années, du même ordre de grandeur (1,3-4,6/100
personnes-années) que ceux estimés avec nos modèles.
Notamment,
la séroprévalence dans le groupe le plus jeune des donneurs de sang
(18-27 ans) était plus de 10% plus élevée chez les personnes nées
en Corse (environ 51%) que chez celles nées à l'extérieur (environ
39%). Cela se traduit par une force d'infection de 4,3% (IC 95% :
3,5–5,6) par an chez les natifs contre 2,8% (IC 95% : 2,5–3,2)
par an chez les non-natifs dans le 'modèle de séroréversion'.
Cependant, en l'absence de données épidémiologiques détaillées
pour les individus de moins de 18 ans, la forme exacte de la courbe
de séroconversion chez l'enfant et l'adolescent reste à établir.
De toute évidence, l'identification des déterminants de
l'exposition dans la population corse de moins de 18 ans est
essentielle pour comprendre l'épidémiologie du VHE localement. Une
comparaison de la séroprévalence du VHE mesurée ici (56,1%) avec
les sérums archivés de donneurs de sang collectés en 2000 dans les
deux départements de la Corse (53,3%; n = 90) (données non
présentées) suggère que l'exposition au VHE a été stable en la
population corse depuis au moins deux décennies. De plus, nous
n'avons pas identifié de variation significative de la prévalence
selon le district administratif de résidence. Dans l'ensemble, les
informations épidémiologiques semblent converger vers une
exposition potentielle commune et omniprésente à l'infection par le
VHE pour les personnes vivant en Corse.
Le
réservoir animal (principalement des porcs et des verrats) est
consensuellement considéré comme une source majeure d'infection par
le VHE chez l'homme [53,54]. Cependant, l'importance relative des
voies de contamination directes (c'est-à-dire liées à la
consommation de viande de porc et de sanglier) ou indirectes n'est
pas claire. La contamination indirecte peut être liée à la
transmission du virus par les mains ou des vecteurs
passifs de transmission d'une maladie (fomites) mais
également à l'eau potable contaminée. Des informations antérieures
issues de l'étude nationale française ont identifié l'eau potable
en bouteille comme facteur de protection contre l'infection, et dans
la région rurale d'Auvergne (France métropolitaine centrale), l'eau
du réseau public a été identifiée comme la source commune
d'infection pour un groupe de sept cas humains, avec de l'ARN HEV
détecté dans un puits privé qui a accidentellement contaminé le
réseau public d'eau.
De
plus, une étude récente en Suède a détecté des souches de
génotype 3 du VHE dans l'eau du robinet et dans l'eau brute avant
traitement. Par conséquent, à mesure que de nouvelles recherches
sont mises en œuvre pour identifier les sources omniprésentes
d'exposition au VHE en Corse, le rôle potentiel de l'eau potable
dans la propagation de l'infection par le VHE devrait être étudié.
Conclusion
Notre
étude confirme que la Corse est une zone d'endémie élevée pour
l'infection par le VHE, avec une exposition homogène dans les
différents quartiers géographiques. La séroprévalence augmente
avec l'âge jusqu'à 60 ans et est plus élevée chez l'homme que
chez la femme. Notre étude a identifié trois domaines prioritaires
pour des investigations complémentaires sur la Corse.
Premièrement,
l'épidémiologie dans le groupe d'âge plus jeune (moins de 18 ans)
est essentiellement inconnue en l'absence de données biologiques et
devrait être explorée plus avant.
Deuxièmement,
les sources courantes de contamination, en particulier l'eau potable,
méritent des études complémentaires car le VHE peut être trouvé
dans les fèces et les eaux usées et la Corse est une région où
l'infection des porcs et des verrats est fréquente. Le réservoir
d'animaux, les eaux usées et la contamination potentielle du réseau
public d'eau peuvent être étudiés.
Troisièmement,
la forte proportion de donneurs ayant un faible titre d'anticorps
anti-VHE soulève des questions sur la protection offerte par les
anticorps IgG et sur la sensibilité à une infection secondaire par
le VHE.