Je connais Phyllis Entis depuis un plus d'une dizaine années et c'est une personne digne de confiance. Son blog eFoodAlert est une réference en matière de rappel de produits alimentaires ici et là. Retraitée, elle a déjà publié plusieurs ouvrages d'ordre général, mais surtout elle est connue pour avoir publié en 2007, Food Safety: Old Habits,New Perspectives
, édité par l'American Society for Microbiology, une référence, puis en novembre 2020, Tainted: From Farm Gate to Dinner Plate, Fifty Years of Food Safety Failures
, qui se lit comme un roman policier. Le blog vous en avait parlé ici. Voici son dernier article qui constitue une véritable investigation sur ce qui se passe aux États-Unis, à vous de voir ...
«Abbott Nutrition: la tempête qui se prépare», source
article
de Phyllis Entis paru sur son blog eFoodAlert le 14 avril 2022.
Entre le 1er septembre 2019 et le 20 septembre 2021, Abbott Nutrition
a reçu dix-sept plaintes de consommateurs concernant plusieurs
préparations en poudre de la marque Similac.
Quinze de ces plaintes concernaient des nourrissons testés positifs
pour Salmonella
après avoir consommé un produit Similac. Une plainte citait un
nourrisson qui avait reçu un diagnostic de Cronobacter
(Enterobacter) sakazakii
, et une autre plainte
était à la suite d'un décès de nourrisson d'une cause non
précisée.
Ces informations sont contenues dans le rapport d'inspection
d'établissement (EIR pour Establishment
Inspection Report) du 20 au 24 septembre 2021, obtenu par
eFoodAlert auprès de la Food and Drug Administration (FDA)
des États-Unis en réponse à une demande selon le Freedom of
Information Act.
Comment les plaintes ont-elles été traitées
En réponse à la plainte liée à la présence de Cronobacter,
la société a examiné ses dossiers de lots et ses dossiers
d'analyses microbiologiques des produits finis. La plainte a été
examinée par une équipe médicale interne d'Abbott Nutrition.
L'entreprise a clos la plainte après avoir déterminé que tous les
dossiers de lot étaient acceptables, qu'il n'y avait pas d'autres
plaintes de consommateurs et que les tests microbiologiques étaient
négatifs pour C.
sakazakii.
La plainte concernant le décès d'un nourrisson a déclenché un
examen du dossier de lot pour trois lots de Similac Alimentum. Après
avoir terminé l'examen et déterminé qu'aucune autre plainte ou
problème médical n'avait été identifié pour les produits, la
société a clos la plainte.
Les quinze plaintes de Salmonella
impliquaient des nourrissons qui avaient reçu un ou plusieurs lots
de Similac Alimentum, Similac ProAdvance, Similac Spit-Up, Similac
Total Comfort, Similac Advance, Similac Pro Sensitive ou Elecare for
Infants.
Les quinze nourrissons ont été testés positifs pour Salmonella.
Une fois de plus, les examens des dossiers de lot sont revenus
acceptables et les résultats des analyses sur les produits finis
étaient négatifs pour Salmonella.
Un prélèvement du produit fini de l'un des lots impliqués (Similac
Advance lot #472005) a été obtenu par Abbott Nutrition auprès d’un
consommateur. Le prélèvement a été soumis à un examen visuel et
le contenant a été examiné dans le laboratoire d'emballage.
La société n'a effectué aucune analyse microbiologique sur cet
échantillon.
La ‘Standard Operating Procedure
for Handling Complaints’ (ou
Procédure opératoire standard pour le traitement des
plaintes) d'Abbott Nutrition précise que «... tout essai
chimique ou microbien d'un prélèvement client non
ouvert nécessite l'approbation du vice-président qualité d’Abbott
Nutrition ou de son délégué».
L'EIR ne précise pas si l'autorisation a été sollicitée pour
effectuer des analyses microbiologiques sur le prélèvement.
Les résultats des analyses internes d'Abbott suscitent des
inquiétudes
Outre les plaintes des consommateurs, l'EIR révèle également que
l'entreprise avait retrouvé Cronobacter
dans deux lots de produits finis.
Le premier de ces résultats positifs a été enregistré pour
Similac Alimentum (lot 697464), produit le 25 septembre 2019, un jour
seulement après la fin de l'inspection en septembre 2019 par la FDA
de l'usine de production d'Abbott.
La cause profonde de la contamination a été déterminée comme
étant environnementale. L'entreprise a mis en œuvre des actions
correctives et a détruit le lot contaminé.
La cause profonde spécifique du deuxième résultat positif, cette
fois dans Similac Spit-Up (lot 732675), produit le 22 juin 2020, n'a
jamais été retrouvée, selon l'EIR. Plusieurs lacunes ont été
relevées au cours de l'enquête sur les causes profondes, des
mesures correctives ont été mises en œuvre et le lot a été
détruit.
En plus des deux cas de Cronobacter
dans les produits finis, Abbott a également retrouvé Cronobacter
dans cinq prélèvements environnementaux entre janvier 2019 et août
2021. Il n'y avait aucun prélèvement environnemental positif pour
Salmonella.
Tous les résultats positifs pour Cronobacter
provenaient de surfaces sans contact avec le produit.
Dans son avis de rappel du 17 février 2022, Abbott a reconnu «...
des preuves de Cronobacter
sakazakii dans l'usine dans des zones non en
contact avec les produits».
Pourtant, l'investigation de la FDA a récupéré Cronobacter
sakazakii dans au moins un écouvillon de ce qui semble être
une surface en contact, comme décrit dans le rapport d'observations
de l'inspection du 31/01/2022 au 18/03/2022 (formulaire FDA 483).
L'explication de l'absence de résultats positifs pour Cronobacter
sur des surfaces en contact avec les produits est révélée dans la
description des procédures de prélèvements environnementaux
d'Abbott Nutrition, comme indiqué dans l'EIR de septembre 2021.
Selon la description du programme de prélèvements environnementaux
d'Abbott Nutrition, l'entreprise effectue des prélèvements
environnementaux des surfaces en contact avec les produits et des
surfaces non en contact avec les produits, ainsi que de l'air, de
l'eau, de la vapeur et de l'air comprimé.
Des échantillons d'écouvillons provenant de surfaces en contact
avec le produit et de surfaces non en contact avec le produit sont
analysés pour les Enterobacteriaceae.
Les Enterobacteriaceae sont une famille de bactéries
qui comprend à la fois Salmonella
et Cronobacter,
et une analyse des Enterobacteriaceae totaux peut être
utilisée comme indicateur des conditions sanitaires générales dans
une installation de production.
Si une surface sans contact avec le produit produisait un résultat
positif dans une zone de l'usine considérée comme ‘à haut
risque’ par l'entreprise, les isolats seraient analysés à la fois
pour Salmonella
et Cronobacter.
D'autre part, si une surface en contact avec le produit était
positive pour les Enterobacteriaceae, la société n'a PAS
analysé les isolats pour Salmonella
ou Cronobacter,
expliquant que le produit fini est analysé pour les deux microbes.
Cependant, sauf en cas de contamination massive, Salmonella
ou Cronobacter
seraient très probablement présents à de très faibles niveaux
dans le produit fini, et les chances de détecter ces contaminants
s'apparenteraient à ce que le même nombre apparaisse deux fois de
suite à la roulette.
En choisissant de ne pas analyser les surfaces en contact qui sont
Enterobacteriaceae-positives
pour la détection de Cronobacter
ou Salmonella,
l'entreprise a raté une occasion d'éviter un grave problème.
La FDA n'est pas irréprochable
Il y avait un intervalle de deux ans entre les inspections de l'usine
de production d'Abbott Nutrition à Sturgis, Michigan.
Pendant ce temps, les États-Unis, en fait, le monde entier, étaient
sous le choc de la pandémie de la Covid-19.
Lorsque la FDA est revenue vers Abbott, le programme de protection de
la Covid-19 de l'entreprise exigeait que l'agence donne un préavis à
son inspection prévue, ce qui n'avait pas été le cas par le passé.
Bien que l'entreprise disposait d'un délai de quatre jours au cours
duquel elle pouvait «ranger» en prévision de la visite de la FDA,
l'équipe d'inspection a tout de même trouvé plusieurs problèmes à
noter, qui ont été détaillés dans le formulaire d'observations de
l'inspection (formulaire FDA 483) fourni à l'entreprise à la fin de
l’inspection.
Mais une observation clé manquait à la liste.
Il n'y avait aucune mention des deux lots de produits finis qui
avaient été testés positifs pour Cronobacter
sakazakii depuis l'inspection précédente, ni des
résultats des tests environnementaux positifs pour Cronobacter.
Ces observations ont été incluses à la place du formulaire 483
émis à la fin de l'inspection de janvier-mars 2022.
Selon l'EIR de septembre 2021, l'équipe d'inspection de la FDA
composée de deux personnes n'a effectué aucun prélèvement
environnemental au cours de sa visite, même après avoir pris
connaissance des résultats positifs pour Cronobacter.
Deux lots de produits finis ont été prélevés pour analyse
nutritionnelle et deux pour analyse microbiologique.
Questions sans réponse
Sept mois après que la FDA ait reçu le premier signalement d'un
nourrisson infecté par Cronobacter
et près de quatre mois après que l'agence ait lancé son inspection
approfondie de l'usine de production d'Abbott Nutrition, plusieurs
questions demeurent:
- Compte tenu de ce que la FDA a appris en septembre 2021 concernant
des prélèvements environnementaux et de produits finis positifs
pour Cronobacter
dans l'usine d'Abbott, pourquoi a-t-il fallu plus de quatre mois à
l'agence pour lancer une autre inspection après avoir reçu le
premier rapport de maladie ?
- Pourquoi les inspecteurs de la FDA n'ont-ils pas répondu avec plus
de force à ces résultats positifs pour Cronobacter
lors de la rédaction de la liste des observations de l'inspection à
la fin de leur inspection de septembre 2021 ?
- Abbott aurait-il découvert et résolu son problème de
contamination plus tôt s'il avait testé Cronobacter
sur des surfaces en contact avec le produit au lieu de s'appuyer sur
des analyses de produits finis ?
- Étant donné que Cronobacter
(contrairement à Salmonella)
n'est pas une maladie «à déclaration obligatoire» dans la
plupart des États, combien de cas supplémentaires à Cronobacter
chez des nourrissons n'ont-ils pas été signalés ?
- Pourquoi a-t-il fallu attendre le 17 février 2022 pour que le
public soit sensibilisé à la situation ?
Aux lecteurs du blog
Je suis en conflit depuis
plusieurs années avec la revue PROCESS
Alimentaire
pour une triste question d’argent qui permettrait de récupérer et
de diffuser correctement les 10 052 articles initialement publiés
gracieusement par mes soins de 2009 à 2017 sur le blog de la revue,
alors qu’elle a bénéficié de la manne de la publicité faite
lors de la diffusion de ces articles. Le départ du blog de la revue
a été strictement motivé par un manque de réactivité dans la
maintenance du blog, la visibilité de celui-ci devenant quasi nulle.
J’accuse la direction de la revue de fuir ses responsabilités et
le but de ce message est de leur dire toute ma colère. Elle ne veut
pas céder, moi non plus, et je lui offre ainsi une publicité
gratuite.