samedi 16 avril 2022

Abbott Nutrition: la tempête qui se prépare

Je connais Phyllis Entis depuis un plus d'une dizaine années et c'est une personne digne de confiance. Son blog eFoodAlert est une réference en matière de rappel de produits alimentaires ici et là. Retraitée, elle a déjà publié plusieurs ouvrages d'ordre général, mais surtout elle est connue pour avoir publié en 2007, Food Safety: Old Habits,New Perspectives , édité par l'American Society for Microbiology, une référence, puis en novembre 2020, Tainted: From Farm Gate to Dinner Plate, Fifty Years of Food Safety Failures , qui se lit comme un roman policier. Le blog vous en avait parlé ici. Voici son dernier article qui constitue une véritable investigation sur ce qui se passe aux États-Unis, à vous de voir ...

«Abbott Nutrition: la tempête qui se prépare», source article de Phyllis Entis paru sur son blog eFoodAlert le 14 avril 2022.

Entre le 1er septembre 2019 et le 20 septembre 2021, Abbott Nutrition a reçu dix-sept plaintes de consommateurs concernant plusieurs préparations en poudre de la marque Similac.

Quinze de ces plaintes concernaient des nourrissons testés positifs pour Salmonella après avoir consommé un produit Similac. Une plainte citait un nourrisson qui avait reçu un diagnostic de Cronobacter (Enterobacter) sakazakii , et une autre plainte était à la suite d'un décès de nourrisson d'une cause non précisée.

Ces informations sont contenues dans le rapport d'inspection d'établissement (EIR pour Establishment Inspection Report) du 20 au 24 septembre 2021, obtenu par eFoodAlert auprès de la Food and Drug Administration (FDA) des États-Unis en réponse à une demande selon le Freedom of Information Act.

Comment les plaintes ont-elles été traitées
En réponse à la plainte liée à la présence de Cronobacter, la société a examiné ses dossiers de lots et ses dossiers d'analyses microbiologiques des produits finis. La plainte a été examinée par une équipe médicale interne d'Abbott Nutrition.

L'entreprise a clos la plainte après avoir déterminé que tous les dossiers de lot étaient acceptables, qu'il n'y avait pas d'autres plaintes de consommateurs et que les tests microbiologiques étaient négatifs pour C. sakazakii.

La plainte concernant le décès d'un nourrisson a déclenché un examen du dossier de lot pour trois lots de Similac Alimentum. Après avoir terminé l'examen et déterminé qu'aucune autre plainte ou problème médical n'avait été identifié pour les produits, la société a clos la plainte.

Les quinze plaintes de Salmonella impliquaient des nourrissons qui avaient reçu un ou plusieurs lots de Similac Alimentum, Similac ProAdvance, Similac Spit-Up, Similac Total Comfort, Similac Advance, Similac Pro Sensitive ou Elecare for Infants.

Les quinze nourrissons ont été testés positifs pour Salmonella.

Une fois de plus, les examens des dossiers de lot sont revenus acceptables et les résultats des analyses sur les produits finis étaient négatifs pour Salmonella.

Un prélèvement du produit fini de l'un des lots impliqués (Similac Advance lot #472005) a été obtenu par Abbott Nutrition auprès d’un consommateur. Le prélèvement a été soumis à un examen visuel et le contenant a été examiné dans le laboratoire d'emballage.

La société n'a effectué aucune analyse microbiologique sur cet échantillon.

La ‘Standard Operating Procedure for Handling Complaints’ (ou Procédure opératoire standard pour le traitement des plaintes) d'Abbott Nutrition précise que «... tout essai chimique ou microbien d'un prélèvement client non ouvert nécessite l'approbation du vice-président qualité d’Abbott Nutrition ou de son délégué».

L'EIR ne précise pas si l'autorisation a été sollicitée pour effectuer des analyses microbiologiques sur le prélèvement.

Les résultats des analyses internes d'Abbott suscitent des inquiétudes
Outre les plaintes des consommateurs, l'EIR révèle également que l'entreprise avait retrouvé Cronobacter dans deux lots de produits finis.

Le premier de ces résultats positifs a été enregistré pour Similac Alimentum (lot 697464), produit le 25 septembre 2019, un jour seulement après la fin de l'inspection en septembre 2019 par la FDA de l'usine de production d'Abbott.

La cause profonde de la contamination a été déterminée comme étant environnementale. L'entreprise a mis en œuvre des actions correctives et a détruit le lot contaminé.

La cause profonde spécifique du deuxième résultat positif, cette fois dans Similac Spit-Up (lot 732675), produit le 22 juin 2020, n'a jamais été retrouvée, selon l'EIR. Plusieurs lacunes ont été relevées au cours de l'enquête sur les causes profondes, des mesures correctives ont été mises en œuvre et le lot a été détruit.

En plus des deux cas de Cronobacter dans les produits finis, Abbott a également retrouvé Cronobacter dans cinq prélèvements environnementaux entre janvier 2019 et août 2021. Il n'y avait aucun prélèvement environnemental positif pour Salmonella.

Tous les résultats positifs pour Cronobacter provenaient de surfaces sans contact avec le produit.

Dans son avis de rappel du 17 février 2022, Abbott a reconnu «... des preuves de Cronobacter sakazakii dans l'usine dans des zones non en contact avec les produits».

Pourtant, l'investigation de la FDA a récupéré Cronobacter sakazakii dans au moins un écouvillon de ce qui semble être une surface en contact, comme décrit dans le rapport d'observations de l'inspection du 31/01/2022 au 18/03/2022 (formulaire FDA 483).

L'explication de l'absence de résultats positifs pour Cronobacter sur des surfaces en contact avec les produits est révélée dans la description des procédures de prélèvements environnementaux d'Abbott Nutrition, comme indiqué dans l'EIR de septembre 2021.

Selon la description du programme de prélèvements environnementaux d'Abbott Nutrition, l'entreprise effectue des prélèvements environnementaux des surfaces en contact avec les produits et des surfaces non en contact avec les produits, ainsi que de l'air, de l'eau, de la vapeur et de l'air comprimé.

Des échantillons d'écouvillons provenant de surfaces en contact avec le produit et de surfaces non en contact avec le produit sont analysés pour les Enterobacteriaceae.

Les Enterobacteriaceae sont une famille de bactéries qui comprend à la fois Salmonella et Cronobacter, et une analyse des Enterobacteriaceae totaux peut être utilisée comme indicateur des conditions sanitaires générales dans une installation de production.

Si une surface sans contact avec le produit produisait un résultat positif dans une zone de l'usine considérée comme ‘à haut risque’ par l'entreprise, les isolats seraient analysés à la fois pour Salmonella et Cronobacter.

D'autre part, si une surface en contact avec le produit était positive pour les Enterobacteriaceae, la société n'a PAS analysé les isolats pour Salmonella ou Cronobacter, expliquant que le produit fini est analysé pour les deux microbes.

Cependant, sauf en cas de contamination massive, Salmonella ou Cronobacter seraient très probablement présents à de très faibles niveaux dans le produit fini, et les chances de détecter ces contaminants s'apparenteraient à ce que le même nombre apparaisse deux fois de suite à la roulette.

En choisissant de ne pas analyser les surfaces en contact qui sont Enterobacteriaceae-positives pour la détection de Cronobacter ou Salmonella, l'entreprise a raté une occasion d'éviter un grave problème.

La FDA n'est pas irréprochable
Il y avait un intervalle de deux ans entre les inspections de l'usine de production d'Abbott Nutrition à Sturgis, Michigan.

Pendant ce temps, les États-Unis, en fait, le monde entier, étaient sous le choc de la pandémie de la Covid-19.

Lorsque la FDA est revenue vers Abbott, le programme de protection de la Covid-19 de l'entreprise exigeait que l'agence donne un préavis à son inspection prévue, ce qui n'avait pas été le cas par le passé.

Bien que l'entreprise disposait d'un délai de quatre jours au cours duquel elle pouvait «ranger» en prévision de la visite de la FDA, l'équipe d'inspection a tout de même trouvé plusieurs problèmes à noter, qui ont été détaillés dans le formulaire d'observations de l'inspection (formulaire FDA 483) fourni à l'entreprise à la fin de l’inspection.

Mais une observation clé manquait à la liste.

Il n'y avait aucune mention des deux lots de produits finis qui avaient été testés positifs pour Cronobacter sakazakii depuis l'inspection précédente, ni des résultats des tests environnementaux positifs pour Cronobacter.

Ces observations ont été incluses à la place du formulaire 483 émis à la fin de l'inspection de janvier-mars 2022.

Selon l'EIR de septembre 2021, l'équipe d'inspection de la FDA composée de deux personnes n'a effectué aucun prélèvement environnemental au cours de sa visite, même après avoir pris connaissance des résultats positifs pour Cronobacter. Deux lots de produits finis ont été prélevés pour analyse nutritionnelle et deux pour analyse microbiologique.

Questions sans réponse
Sept mois après que la FDA ait reçu le premier signalement d'un nourrisson infecté par Cronobacter et près de quatre mois après que l'agence ait lancé son inspection approfondie de l'usine de production d'Abbott Nutrition, plusieurs questions demeurent:
  • Compte tenu de ce que la FDA a appris en septembre 2021 concernant des prélèvements environnementaux et de produits finis positifs pour Cronobacter dans l'usine d'Abbott, pourquoi a-t-il fallu plus de quatre mois à l'agence pour lancer une autre inspection après avoir reçu le premier rapport de maladie ?  
  • Pourquoi les inspecteurs de la FDA n'ont-ils pas répondu avec plus de force à ces résultats positifs pour Cronobacter lors de la rédaction de la liste des observations de l'inspection à la fin de leur inspection de septembre 2021 ?
  • Abbott aurait-il découvert et résolu son problème de contamination plus tôt s'il avait testé Cronobacter sur des surfaces en contact avec le produit au lieu de s'appuyer sur des analyses de produits finis ?
  • Étant donné que Cronobacter (contrairement à Salmonella) n'est pas une maladie «à déclaration obligatoire» dans la plupart des États, combien de cas supplémentaires à Cronobacter chez des nourrissons n'ont-ils pas été signalés ?
  • Pourquoi a-t-il fallu attendre le 17 février 2022 pour que le public soit sensibilisé à la situation ?
Pour en savoir plus sur Cronobacter sakazakii et d'autres épidémies de maladies d'origine alimentaire dans TAINTED. From Farm Gate to Dinner Plate, Fifty Years of Food Safety Failures (CONTAMINÉ. De la ferme à l'assiette, cinquante ans d'échecs en matière de sécurité des aliments) désormais disponible en éditions numériques, imprimées et audio.
Complément. A propos de l’article de Phyllis Entis, Bill Marler, l’avocat bien connu aux Etats-Unis en sécurité des aliments, a écrit sur son blog, le Marler Blog, un article paru le 15 avril 2022, Le journalisme citoyen à son meilleur niveau – eFoodAlert et ses connaissance sur «Abbott Nutrition : The Gathering Storm».

Aux lecteurs du blog
Je suis en conflit depuis plusieurs années avec la revue PROCESS Alimentaire pour une triste question d’argent qui permettrait de récupérer et de diffuser correctement les 10 052 articles initialement publiés gracieusement par mes soins de 2009 à 2017 sur le blog de la revue, alors qu’elle a bénéficié de la manne de la publicité faite lors de la diffusion de ces articles. Le départ du blog de la revue a été strictement motivé par un manque de réactivité dans la maintenance du blog, la visibilité de celui-ci devenant quasi nulle. J’accuse la direction de la revue de fuir ses responsabilités et le but de ce message est de leur dire toute ma colère. Elle ne veut pas céder, moi non plus, et je lui offre ainsi une publicité gratuite.

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