La
capacité des espèces microbiennes du kéfir à rester ensemble et à
collaborer est ce qui fait leur succès - par exemple, en exploitant
des ressources nutritionnelles qui ne seraient pas disponibles
autrement. Crédit Rayne Zaayman-Gallant/EMBL.
«Dans
le kéfir, le travail d'équipe microbien fait fonctionner le rêve»,
source
EMBL.
Une nouvelle étude montre comment la coopération entre les espèces bactériennes leur permet de prospérer en tant que communauté.
Pour
fabriquer du kéfir, il faut une équipe. Une équipe de microbes.
C'est
le message de la nouvelle étude
de l'EMBL (European
Molecular Biology Laboratory)
et du groupe Patil et de ses collaborateurs de l'Université de
Cambridge, publiée dans Nature
Microbiology.
Les membres du groupe étudient le kéfir, l’un des produits
alimentaires fermentés les plus anciens au monde et de plus en plus
considéré comme un ‘super-aliment’ avec de nombreux bienfaits
supposés pour la santé, notamment une meilleure digestion et une
baisse de la tension artérielle et de la glycémie. Après avoir
étudié 15 échantillons de kéfir, les chercheurs ont découvert à
leur grande surprise que les espèces dominantes de bactéries
Lactobacillus
retrouvées
dans les grains de kéfir ne peuvent survivre seules dans le lait,
l'autre ingrédient clé du kéfir. Cependant, lorsque les espèces
travaillent ensemble - se nourrissant des métabolites de l’autre
dans la culture du kéfir - elles fournissent chacune quelque chose
dont l’autre a besoin.
«La
coopération leur permet de faire quelque chose qu’ils ne
pourraient pas faire seuls»,
dit
Kiran Patil, chef de groupe et auteur correspondant du document. «Il
est particulièrement fascinant de voir comment L. kefiranofaciens,
qui domine la communauté du kéfir, utilise les grains de kéfir
pour lier tous les autres microbes dont il a besoin pour survivre -
tout comme l'anneau dirigeant du Seigneur des Anneaux. Un grain pour
les lier tous.»
Un
modèle d'interactions microbiennes
La
consommation de kéfir est à l'origine devenue populaire en Europe
de l'Est, en Israël et dans les régions de Russie et des alentours.
Il est composé de «grains» qui ressemblent à de petits morceaux
de chou-fleur et ont fermenté dans du lait pour produire une boisson
probiotique composée de bactéries et de levures.
«Les
personnes
stockaient le lait dans des peaux de mouton et ont remarqué que ces
céréales qui en émergeaient empêchaient leur lait de se gâter,
afin de pouvoir le conserver plus longtemps»,
explique Sonja Blasche, post-doc dans le groupe Patil et coauteur de
l'article. «Parce
que le lait se gâte assez facilement, trouver un moyen de le
conserver plus longtemps était d'une grande valeur.»
Pour
fabriquer du kéfir, vous avez besoin de grains de kéfir. Ceux-ci ne
peuvent pas être fabriqués artificiellement, mais doivent provenir
d'un autre lot de kéfir. Les grains sont ajoutés au lait pour
fermenter et se
cultiver.
Environ 24 à 48 heures plus tard (ou, dans le cas de cette
recherche, 90 heures plus tard), les grains de kéfir ont consommé
les nutriments dont ils disposaient. Les grains croissent en taille
et en nombre pendant ce temps et le processus du kéfir est terminé.
Les grains sont retirés et ajoutés au lait frais pour recommencer
le processus.
Pour
les scientifiques, cependant, le kéfir fournit plus qu'une simple
boisson saine: c'est une communauté microbienne modèle facile à
cultiver pour étudier les interactions métaboliques. Et tandis que
le kéfir est assez similaire au yogourt à bien des égards - les
deux sont des produits laitiers fermentés ou cultivés avec
pleins
de «probiotiques», la communauté microbienne du kéfir est
beaucoup plus grande que celle du yogourt, comprenant
non seulement les cultures bactériennes, mais aussi des
levures.
Apprendre
du kéfir
Alors
que les scientifiques savent que les micro-organismes vivent souvent
dans des communautés et dépendent de leurs confrères pour
survivre, les connaissances mécanistes de ce phénomène sont assez
limitées. Les modèles de laboratoire ont toujours été limités à
deux ou trois espèces microbiennes, de sorte que le kéfir offrait -
comme le décrit Kiran, une ‘zone habitable’
(ou
Goldilocks
zone en anglais) de
complexité qui n'est pas trop petite (environ 40 espèces), mais pas
trop difficile à étudier en détail.
Sonja
a commencé cette recherche en collectant des échantillons de kéfir
à plusieurs endroits. Si la plupart des échantillons ont été
obtenus en Allemagne, ils sont probablement originaires d’ailleurs,
car les grains de kéfir ont été transmis au fil des siècles.
«Notre
première étape a consisté à examiner la croissance des
échantillons. Les communautés microbiennes de kéfir ont de
nombreuses espèces membres avec des modèles de croissance
individuels qui s'adaptent à leur environnement actuel. Cela
signifie des espèces à croissance rapide et lente et certaines qui
modifient leur vitesse en fonction de la disponibilité des
nutriments»,
explique Sonja. «Ce
n'est pas unique à la communauté du kéfir. Cependant, la
communauté du kéfir avait beaucoup de temps pour que la
co-évolution l'amène à la perfection, car ils sont restés
ensemble depuis longtemps déjà.»
La
coopération est la clé
Découvrir
l'étendue et la nature de la coopération entre les microbes du
kéfir était loin d'être simple. Pour ce faire, les chercheurs ont
combiné une variété de méthodes de pointe telles que la
métabolomique (étude des processus chimiques des métabolites), la
transcriptomique (étude des transcriptions de l'ARN produit par le
génome) et la modélisation mathématique. Cela a révélé non
seulement des agents d'interaction moléculaire clés comme les
acides aminés, mais également la dynamique des espèces contrastées
entre les grains et la partie laitière du kéfir.
«Le
grain de kéfir sert de camp de base pour la communauté de kéfir, à
partir de laquelle les membres de la communauté colonisent le lait
d'une manière complexe mais organisée et coopérative»,
explique Kiran. «Nous
voyons ce phénomène dans le kéfir, puis nous voyons qu’il n’est
pas limité au kéfir. Si vous regardez le monde entier des
microbiomes, la coopération est également une clé de leur
structure et de leur fonction.»
En
fait, dans un autre article du groupe de Kiran en collaboration avec
le groupe de
Bork
de l'EMBL, dans
Nature
Ecology and Evolution,
les scientifiques ont combiné les données de milliers de
communautés microbiennes à travers le monde, du sol à l'intestin
humain, pour comprendre des relations de coopération similaires.
Dans ce deuxième article, les chercheurs ont utilisé une
modélisation métabolique avancée pour montrer que les groupes
coexistants de bactéries, groupes que l'on trouve fréquemment
ensemble dans différents habitats, sont soit hautement compétitifs,
soit hautement coopératifs. Cette polarisation brutale n’a jamais
été observée auparavant et jette un éclairage sur les processus
évolutifs qui façonnent les écosystèmes microbiens. Bien que les
communautés compétitives et coopératives prévalent, les
coopérateurs semblent mieux réussir en termes d'abondance plus
élevée et d'occupation de divers habitats. Plus forts ensemble.