«Vie et mort d’une bactérie «altruiste», source Université de Montréal.
Une nouvelle étude dirigée par Yves Brun démontre comment certaines bactéries vivant en communauté dans un biofilm se sacrifient pour assurer la survie du groupe.
Les biofilms, communautés complexes de bactéries, abondent autour de nous: à la surface du fromage, où ils sont responsables des saveurs et des arômes; dans les cours d'eau, où ils forment la substance visqueuse sur les rochers; mais aussi sur nos dents, où ils causent la plaque dentaire.
Vivre dans un biofilm comporte de nombreux avantages pour les bactéries, tels que le partage des ressources, un abri contre les prédateurs et une résistance accrue aux composés toxiques comme les antibiotiques.
Cependant, avoir la possibilité de quitter le biofilm lorsque les conditions environnementales se détériorent peut être avantageux et permet aux bactéries de se reloger dans un environnement plus hospitalier.
«Pour la bactérie Caulobacter crescentus, le biofilm devient une sorte de prison à perpétuité: une fois que les cellules sont attachées à une surface par un adhésif puissant produit à l’une de leur extrémité, elles ne peuvent plus s’en détacher, explique Yves Brun, professeur au Département de microbiologie, infectiologie et immunologie de l’Université de Montréal. Cependant, lorsque ces cellules attachées se divisent, leurs rejetons - les cellules filles - ont le choix de rester dans le biofilm ou de s'en éloigner.»
Avec son équipe de recherche, il a donc voulu déterminer si la mort cellulaire se produit de manière aléatoire lorsque la qualité de l'environnement diminue ou s'il s'agit d'un processus régulé répondant à un signal précis.
«Nous avons mis en lumière que Caulobacter utilise un mécanisme de mort cellulaire programmée qui pousse certaines cellules à se sacrifier lorsque les conditions à l'intérieur du biofilm se détériorent, avance Cécile Berne, membre de l’équipe de recherche d’Yves Brun et auteure principale de l’étude. Connu sous le nom de système toxine-antitoxine, ce mécanisme recourt à une toxine qui cible une fonction vitale pour la bactérie et son antidote associé, l'antitoxine. La toxine est plus stable que l'antitoxine et, lorsque la mort cellulaire programmée est lancée, la quantité d’antitoxine est réduite, entraînant la mort cellulaire.»
Qu'est-ce qui pousse certaines cellules du biofilm à se sacrifier? «En utilisant une combinaison de génétique et de microscopie, nous avons remarqué que le système toxine-antitoxine est activé lorsque l'oxygène devient rare, car le biofilm s'agrandit et les cellules se disputent l'oxygène disponible», poursuit Cécile Berne.
La mort d'un sous-ensemble de cellules qui en résulte libère de l'ADN, ce qui favorise la dispersion de leurs frères et sœurs vivants vers des environnements potentiellement plus hospitaliers, empêchant ainsi une surpopulation qui réduirait davantage la qualité de l'environnement dans le biofilm.
«Le côté négatif par contre est que le mode de vie en biofilm est aussi une stratégie employée par les bactéries pathogènes pour devenir plus résistantes aux antibiotiques. C’est pourquoi comprendre les mécanismes qui déterminent l'équilibre entre le mode de vie des biofilms et celui des bactéries qui s’éloignent du biofilm aidera à élaborer des solutions pour relever le défi de la résistance aux antibiotiques. Cela aidera aussi à favoriser la formation de biofilms lorsque nous le souhaitons et à les éliminer lorsque nous ne les souhaitons pas», conclut Yves Brun.
L’article «eDNA-stimulated cell dispersion from Caulobacter crescentus biofilms upon oxygen limitation is dependent on a toxin-antitoxin system», par Cécile Berne, Sébastien Zappa et Yves Brun, a été publié dans eLife le 7 décembre 2022.
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