La
parole scientifique au temps du coronavirus par
Marcel Kuntz.
Adapté
et augmenté d'une interview par L’Express
du
5/4/2020
Le
blog vous propose des extraits.
Jamais
sans doute les scientifiques n'ont été aussi omniprésents que
durant cette crise sanitaire. Directeur de recherche au CNRS et
enseignant à l'université de Grenoble, Marcel Kuntz se félicite
que l'expertise soit de retour en grâce. Mais ce spécialiste des
biotechnologies végétales déplore les détournements idéologiques
qui sont faits entre coronavirus et cause écologique. Et regrette
que la parole scientifique n'ait pas plus été écoutée par les
politiques dans des dossiers comme les OGM ou le nucléaire.
Thomas
Mahler : Du fait de la crise sanitaire, les scientifiques sont
omniprésents dans les médias et semblent être au coeur de la
décision politique. Faut-il s'en réjouir?
Marcel
Kuntz : Les
experts ont plutôt fait oeuvre d'explications modestes, avec une
écoute généralement bienveillante des journalistes : quand il y a
des morts, comme dans cette pandémie, alors la connaissance
redevient une valeur. Le relativisme
postmoderne en
prend un coup !
Sont-ils
pour autant au coeur de la décision politique ? Il est trop tôt
pour se prononcer.
On notera quand même un inouï battage médiatique pour accréditer que l'apparition des pandémies virales, dont le Covid-19 serait due à une « biodiversité maltraitée ». Avec à la manoeuvre une poignée de scientifiques, en l'occurrence tournés vers les milieux naturels. L'idéologie et l'envie frénétique de financement n'ont, semble-t-il, pas disparu (j'interprète : il ne faudrait pas que tout l'argent de la recherche aille dans la santé, au détriment de son propre domaine de recherche !). Les Hommes restent des Hommes... Quant à l'idéologie, qui citer de meilleur que Nicolas Hulot qui y voit « une sorte d'ultimatum de la Nature » ? En réalité il faut faire la part des choses. En quoi la « grippe espagnole » était-elle due à la perte de biodiversité ? Les oiseaux sauvages sont en cause dans la grippe asiatique et la plus récente grippe aviaire, autrement dit la nature n'est pas forcément bonne.
Que
pensez-vous de l'action d'un conseil scientifique épaulant
directement le gouvernement dans ses décisions concernant cette
épidémie?
C'est
une forme de com' politique : créer un « comité
scientifique »
peut crédibiliser l'action gouvernementale, qui en a bien besoin. En
réalité, les collaborateurs ministériels auraient été en contact
avec des experts même sans ce comité. Je ne peux m'empêcher d'y
voir aussi une façon pour le gouvernement de se protéger : le
syndrome « sang
contaminé »
(c'est-à-dire le procès de ministres, dont le Premier à l'époque)
obsède
les politiciens.
Avant tout se protéger ! Pouvoir dire : « nous avons suivi les
scientifiques » pourra être une façon de diluer les mises en
cause, justes ou injustes, qui ne manqueront pas de venir.
Le
temps des scientifiques n'est pas celui de l'actualité
Regrettez-vous
que la parole scientifique n'ait pas été plus écoutée sur
d'autres sujets, tels les OGM ou le nucléaire?
La
parole scientifique est prudente : les OGM, pour prendre cet exemple,
ne posent pas
de problème sanitaire particulier, mais
comme pour toute activité humaine on peut établir une liste de
risque théorique, pour les anticiper. Cette approche raisonnée a
peu de force par rapport aux discours catastrophistes, et est de plus
brouillée par des militants qui se trouvent être aussi
scientifiques, et bien plus médiatiques. De plus, le temps des
scientifiques n'est pas celui de l'actualité : rappelons que la
réfutation finale des allégations erronées de Gilles-Eric
Séralini, qui firent la une des médias en septembre 2012 avec ses
fameux rats atteints de tumeurs, a dû attendre 2018, le temps de
mener de nouvelles études européennes (Lire ma
note sur le sujet).
Le
plus décevant a été le recul, puis le
ralliement des décideurs politiques de
tous bords à ces discours, pour des raisons électoralistes. Ce fut
le cas aussi sur le nucléaire. Je regrette la perte délibérée de
fleurons technologiques français, pour l'agriculture, la santé et
la production d'énergie, etc.
A
la faveur de la crise actuelle, on vient de s'apercevoir de la
dépendance de la France par rapport à la Chine pour des médicaments
et autres produits stratégiques. Mais nous alertons depuis vingt ans
de notre vassalisation sur les biotechnologies ! Sans avoir su
convaincre. Demain des médicaments issus des nouvelles biotechs
seront chinois, car l'Europe s'est suicidée sur ces sujets : dans
une étude
publiée l'année passée, nous
avons recensé pour les Etats-Unis et la Chine (celle-ci étant en
train de devenir leader) près de 900 brevets chacun et moins de 200
pour l'Europe entière dans le domaine des nouvelles biotechnologies
les plus prometteuses, en premier lieu pour la santé.