dimanche 19 avril 2020

La parole scientifique au temps du coronavirus par Marcel Kuntz


Adapté et augmenté d'une interview par L’Express du 5/4/2020

Le blog vous propose des extraits.

Jamais sans doute les scientifiques n'ont été aussi omniprésents que durant cette crise sanitaire. Directeur de recherche au CNRS et enseignant à l'université de Grenoble, Marcel Kuntz se félicite que l'expertise soit de retour en grâce. Mais ce spécialiste des biotechnologies végétales déplore les détournements idéologiques qui sont faits entre coronavirus et cause écologique. Et regrette que la parole scientifique n'ait pas plus été écoutée par les politiques dans des dossiers comme les OGM ou le nucléaire.

Thomas Mahler : Du fait de la crise sanitaire, les scientifiques sont omniprésents dans les médias et semblent être au coeur de la décision politique. Faut-il s'en réjouir?

Marcel Kuntz : Les experts ont plutôt fait oeuvre d'explications modestes, avec une écoute généralement bienveillante des journalistes : quand il y a des morts, comme dans cette pandémie, alors la connaissance redevient une valeur. Le relativisme postmoderne en prend un coup !
Sont-ils pour autant au coeur de la décision politique ? Il est trop tôt pour se prononcer.

On notera quand même un inouï battage médiatique pour accréditer que l'apparition des pandémies virales, dont le Covid-19 serait due à une « biodiversité maltraitée ». Avec à la manoeuvre une poignée de scientifiques, en l'occurrence tournés vers les milieux naturels. L'idéologie et l'envie frénétique de financement n'ont, semble-t-il, pas disparu (j'interprète : il ne faudrait pas que tout l'argent de la recherche aille dans la santé, au détriment de son propre domaine de recherche !). Les Hommes restent des Hommes... Quant à l'idéologie, qui citer de meilleur que Nicolas Hulot qui y voit « une sorte d'ultimatum de la Nature » ? En réalité il faut faire la part des choses. En quoi la « grippe espagnole » était-elle due à la perte de biodiversité ? Les oiseaux sauvages sont en cause dans la grippe asiatique et la plus récente grippe aviaire, autrement dit la nature n'est pas forcément bonne.

Que pensez-vous de l'action d'un conseil scientifique épaulant directement le gouvernement dans ses décisions concernant cette épidémie?
C'est une forme de com' politique : créer un « comité scientifique » peut crédibiliser l'action gouvernementale, qui en a bien besoin. En réalité, les collaborateurs ministériels auraient été en contact avec des experts même sans ce comité. Je ne peux m'empêcher d'y voir aussi une façon pour le gouvernement de se protéger : le syndrome « sang contaminé » (c'est-à-dire le procès de ministres, dont le Premier à l'époque) obsède les politiciens. Avant tout se protéger ! Pouvoir dire : « nous avons suivi les scientifiques » pourra être une façon de diluer les mises en cause, justes ou injustes, qui ne manqueront pas de venir.

Le temps des scientifiques n'est pas celui de l'actualité
Regrettez-vous que la parole scientifique n'ait pas été plus écoutée sur d'autres sujets, tels les OGM ou le nucléaire?
La parole scientifique est prudente : les OGM, pour prendre cet exemple, ne posent pas de problème sanitaire particuliermais comme pour toute activité humaine on peut établir une liste de risque théorique, pour les anticiper. Cette approche raisonnée a peu de force par rapport aux discours catastrophistes, et est de plus brouillée par des militants qui se trouvent être aussi scientifiques, et bien plus médiatiques. De plus, le temps des scientifiques n'est pas celui de l'actualité : rappelons que la réfutation finale des allégations erronées de Gilles-Eric Séralini, qui firent la une des médias en septembre 2012 avec ses fameux rats atteints de tumeurs, a dû attendre 2018, le temps de mener de nouvelles études européennes (Lire ma note sur le sujet).

Le plus décevant a été le recul, puis le ralliement des décideurs politiques de tous bords à ces discours, pour des raisons électoralistes. Ce fut le cas aussi sur le nucléaire. Je regrette la perte délibérée de fleurons technologiques français, pour l'agriculture, la santé et la production d'énergie, etc.

A la faveur de la crise actuelle, on vient de s'apercevoir de la dépendance de la France par rapport à la Chine pour des médicaments et autres produits stratégiques. Mais nous alertons depuis vingt ans de notre vassalisation sur les biotechnologies ! Sans avoir su convaincre. Demain des médicaments issus des nouvelles biotechs seront chinois, car l'Europe s'est suicidée sur ces sujets : dans une étude publiée l'année passée, nous avons recensé pour les Etats-Unis et la Chine (celle-ci étant en train de devenir leader) près de 900 brevets chacun et moins de 200 pour l'Europe entière dans le domaine des nouvelles biotechnologies les plus prometteuses, en premier lieu pour la santé.

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