«Comment E. coli est devenu célèbre», source article de Roberto Kolter sur le site de l'ASM.
Je n'ai pas pu m'en empêcher, j'ai dû inclure le mot "rose"(provient de to rise, traduit ici par croissance) dans le titre de cet article. La raison ? J'ai été poussé à le faire, inspiré par un remarquable reportage d'investigation de Memo Berkmen et Paul Riggs publié dans Small Things Considered en 2016. Ils y décrivent leurs tentatives héroïques - même si elles ont échoué - pour déterminer comment E. coli K-12 a obtenu son nom. Ils s'appellent eux-mêmes «... les amoureux de cet E. coli à l'odeur aigre...» après avoir cité ce conte immortel d'amoureux, Roméo et Juliette de Shakespeare:
Même si ma «rose» est le verbe et non le nom, j'espère que vous trouverez cette histoire tout aussi douce. Alors que Memo et Paul cherchaient l'origine d'un nom de la plus célèbre de toutes les souches de E. coli, j'ai cherché des détails sur la façon dont un chétif habitant de l'intestin humain a pris une telle importance en biologie moléculaire.
La première description de E. coli se trouve dans le traité d'habilitation de Theodor Escherich, Die Darmbakterien des Säuglings und ihre Beziehungen zur Physiologie der Verdauung (Les entérobactéries des nourrissons et leur relation avec la physiology de la digestion). Il a été publié en 1886 et a fait d'Escherich le premier médecin spécialiste des maladies infectieuses pédriatiques. Dans le texte, Escherich décrit une bactérie communément isolée des selles de nouveau-nés sains et la nomme Bacterium coli commune. Son abondance relative chez les nouveau-nés par rapport aux adultes, son taux de croissance rapide et les conditions de culture anaérobie «pas si strictes» qu'il a utilisées ont probablement tous contribué à ce que cette bactérie dépasse les anaérobies beaucoup plus nombreuses dans l'intestin. En 1895, ces isolats ont été renommés Bacillus coli, simplement parce qu'il s'agissait de bâtonnets (Bacillus - du latin baculus = bâton). Le genre Escherichia – en l'honneur du découvreur – a été établi en 1919 par Castellani et Chalmers et présenté dans leur étonnant livre Manual of Tropical Medicine. Une lecture de cette publication en vaudrait la peine ! Et pour un traitement complet des réalisations d'Escherich ainsi que des comptes rendus détaillés des premiers travaux avec E. coli, je recommande fortement le chapitre EcoSal «Escherich et Escherichia» par Herbert C. Friedmann.
Les premières hypothèses selon lesquelles E. coli allait jouer un rôle clé dans la naissance de la biologie moléculaire ont eu lieu au début du XXe siècle. En 1907, Rudolf Massini, travaillant à l'Institut de thérapie expérimentale de Paul Ehrlich à Francfort, en Allemagne, a publié un article (tel que cité ici) caractérisant une souche de E. coli qui a commencé comme non fermentant le lactose. Après une incubation prolongée sur un milieu indicateur de lactose, des papillae Lac+ sont apparues dans les colonies Lac–. La descendance des papillae est restée Lac+ après re-ensemencement. Massini a appelé la souche Bacillus coli mutabile. Selon ses propres termes: «Ce travail constitue une contribution de la bactériologie à la théorie de la mutation», suggérant (au moins dans une interprétation rétrospective) que E. coli pourrait se prêter à des analyses génétiques. Massini était donc en avance sur son temps en faisant ce genre de génétique bactérienne.
Figure 3. Exemple d’une colonie avec des papillae. Source.
E. coli était également au cœur des premiers travaux sur les bactériophages. Dans ma lecture de la description de Twort en 1915 de «virus ultra-microscopiques» (c'est-à-dire l'article noté comme documentant la découverte des bactériophages), il est possible que, dans certains cas, il ait pu travailler avec des isolats de Bacillus coli. Quoi qu'il en soit, lorsqu'au début des années 1920, André Gratia a redécouvert le travail original de Twort, il a commencé à utiliser E. coli. Gratia était également en avance sur son temps, dans de nombreux aspects, un pionnier de la génétique de E. coli. Par exemple, en 1925, il a publié sa découverte sur la production d'une substance antimicrobienne à partir de E. coli, la Colicine V, des années avant le récit de Fleming sur la pénicilline. Ainsi, dans les années 1920, le décor était planté. Escherichia coli avait son nom propre et de nombreux chercheurs s'intéressaient à sa compréhension. Comment se fait-il qu'au cours des vingt prochaines années E. coli soit devenu au centre du drame de la naissance de la biologie moléculaire ? À mon avis, c'était une pièce en trois actes: le groupe des phages, l'école française et les Lederberg. C’est plein de légendes et beaucoup de choses ont été écrites sur les trois. Ici, je veux simplement relater la façon dont chaque groupe a choisi de travailler avec E. coli.
Selon la plupart des témoignages, le groupe Phage s'est formé à la fin des années 1930 grâce aux interactions d'Alfred Hershey, Salvador Luria et Max Delbrück. Hershey et Luria avaient déjà suivi une formation sur le travail des phages. Mais c'est l'introduction par Delbrück de l'utilisation de E. coli et de ses phages qui a solidifié le groupe. Le choix de Delbrück est une histoire d'être au bon endroit au bon moment et de saisir l'opportunité. Delbrück avait suivi une formation de physicien théoricien en Allemagne et s'étant intéressé aux gènes, il est allé à Caltech en 1937 pour travailler sur la génétique de la drosophile avec Thomas Morgan. Après six mois frustrants compte tenu de la lenteur de ce système modèle, il a été attiré par le travail qu'Emory Ellis faisait avec les bactériophages comme moyen de comprendre la biologie de base des virus qui pourraient être impliqués dans le cancer. Ellis et sa femme Marion avaient mis en place un système utilisant des phages obtenus de la station d'épuration de Pasadena. Voici le déclic. En tant qu'hôte bactérien, ils utilisaient E. coli ! Pourquoi ? Tout simplement parce qu'il était disponible auprès de Carl Lindegren, un étudiant du groupe de Morgan. D'une certaine manière, Delbrück a reçu E. coli sur un plateau d'argent. Mais il savait certainement comment courir avec et c'est ce qu'il a fait. En 1943, lui et Luria avaient publié leur article phare sur l'origine des mutants et, ce faisant, avaient utilisé E. coli pour donner naissance à la génétique microbienne.
Comme merveilleusement racontée par Agnès Ullmann, l'École française de biologie moléculaire était dirigée par André Lwoff, Jacques Monod et François Jacob. Comment ils en sont venus à se concentrer sur E. coli est également une anecdote amusante. A peu près au moment où Delbrück arriva à Caltech (1937) Monod quittait Caltech après une courte visite avec le groupe de Morgan. Monod a ensuite pris un poste de professeur à la Sorbonne à Paris. Surtout, il a souvent rencontré Lwoff. (La visite de Monod à Caltech s'est avérée salvatrice, les détails des raisons pour lesquelles vous devrez lire se trouve dans l'essai d'Ullmann.) Lwoff raconte comment il a introduit Monod à E. coli. «Je lui ai conseillé d'utiliser une bactérie capable de se développer dans un milieu synthétique, par exemple Escherichia coli. Est-ce pathogène ? demanda Jacques. La réponse étant satisfaisante, Monod commença, en 1937, à jouer avec E. coli et cela a étté l'origine de tout…» Tout en effet ! En 1940, Monod avait découvert la croissance diauxique, marquant le début d'une longue amitié avec le lactose et E. coli.
L'arrivée des Lederberg sur la scène de E. coli est survenue un peu plus tard. Mais quel bang ils ont créé ! En 1946, Joshua Lederberg et Edward Tatum ont publié leur découverte de la recombinaison de gènes chez E. coli, ouvrant grand le champ de la génétique de E. coli. Ce fut la première des nombreuses contributions énormes que Josh a apportées à la biologie moléculaire en utilisant cette bactérie. Peu de temps après, en 1950, Esther Lederberg a découvert le phage lambda lysogène, qui allait bientôt être parallèle à l'opéron lac en termes de fournir des informations sur la régulation des gènes. Ces deux découvertes fondatrices ont été réalisées à l'aide de E. coli K-12. L’article dans Small Rthings Considered recherchant comment cette variété a obtenu son nom suit déjà son histoire de Stanford aux Lederbergs. Ce qu'il faut répéter ici, c'est l'incroyable coup de chance qu'ils ont eu à utiliser une souche qui avait deux traits inhabituels : un plasmide conjugatif et intégratif (F) déréprimé qui a permis la détection de la recombinaison et le prophage lambda.
Le reste, comme l’on dit, appartient à l'histoire !
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