Lettre au ministre de l’Agriculture : l’État doit choisir entre les agriculteurs et les écologistes par Jean-Paul Pelras, parue dans l'agri le 12 novembre 2021.
Monsieur le ministre,
en tant que rédacteur en chef d’un journal agricole, en tant
qu’auteur de plusieurs ouvrages sur la ruralité, mais aussi en
tant qu’ancien agriculteur, je viens vous alerter solennellement et
sans détours sur les dérives que suscite le discours
environnementaliste ambiant. Dérives qui impactent le monde
agricole, le commerce, l’artisanat, l’agro-industrie et les
journalistes qui osent encore exercer leur métier sans céder aux
pressions des tendances imposées.
Tout
comme vous avez condamné le saccage des “bassines” dans les Deux
Sèvres, vous n’êtes pas sans savoir que, régulièrement,
d’autres pratiques tout aussi intimidantes sont à déplorer sur
l’ensemble du territoire. Et ce, que ce soit directement sur les
exploitations ou dans les entreprises comme par téléphone, par mail
ou via les réseaux sociaux. Dernière en date, l’entreprise
Ecomiam qui privilégie la production locale et défend l’éthique
des filières agricoles françaises, a choisi, en s’exprimant par
la voix de son directeur, de ne pas céder au chantage de
l’association L214. Son courage, car il s’agit bien de courage au
regard des menaces encourues, mérite d’être salué.
Reste
à connaître, Julien De Normandie, votre position et celle du
gouvernement concernant à la fois ces agissements et les choix que
l’État compte adopter pour soutenir notre agriculture, à l’heure
où se profile un Farm to fork dévastateur, à l’heure où le
député européen Benoit Biteau et Europe Écologie Les Verts
cautionnent impunément le saccage des retenues collinaires, à
l’heure où Sandrine Rousseau déclare qu’il faut “accepter
une baisse de rendement agricole”, à l’heure où France
Télévision, par l’intermédiaire notamment de madame Lucet,
stigmatise régulièrement les pratiques agricoles, à l’heure où
la gestion du Grand débat sur l’agriculture a été confiée à
des experts… en urbanisme, à l’heure où, de la maternelle au
lycée, l’éducation se charge de diffuser des messages à charge
contre l’agriculture conventionnelle, à l’heure où les
administrations agricoles sont, sur le terrain comme dans les
bureaux, de plus en plus sensibles aux discours environnementaux…
Mais
aussi et surtout, monsieur le ministre de l’Agriculture, à l’heure
où Barbara Pompili, ministre de l’Écologie, signait voici
quelques mois le manifeste des Coquelicots, association qui dénigre
systématiquement le modèle agricole français, seul capable de
nourrir en temps et en heure, qualitativement et quantitativement, 67
millions de consommateurs, qui cultive 28 millions d’hectares, pèse
75 milliards d’euros et emploie 1,5 million de personnes.
Le
“en même temps” ne fonctionnera pas sur ce coup-là, monsieur le
ministre
Un
“témoignage de solidarité” dont je me suis ému auprès du
Premier ministre avec une tribune diffusée dans le Point et dans
L’Agri. Car le monde agricole est en droit de se demander désormais
quelles orientations vont être prises, qui sera écouté et dans
quelles proportions le modèle qui permet de garantir notre sécurité
alimentaire va-t-il être préservé ? Car si, comme le prédit
le Sénat, la France risque de connaître son premier déficit
agricole en 2023, notre pays va inexorablement basculer dans
l’inconnu que suscite la géopolitique des dépendances
alimentaires.
Au
même titre que la santé, la défense ou l’enseignement,
l’agriculture demeure un secteur incontournable dont le sort ne
peut être confié à des comités Théodule irresponsables et aux
promoteurs de la décroissance économique, de la déconstruction
agronomique.
Le
laxisme et parfois même la complaisance dont l’État fait preuve à
l’égard des lobbies écologistes menace directement la
compétitivité du monde paysan, déjà suffisamment malmené par le
jeu des compétitions déloyales mondiales et intra européennes.
Céder aux caprices des environnementalistes qui réclament, sans
connaître de l’outil ni l’usage ni le prix, toujours plus de
normes, toujours plus de contrôles, toujours plus de directives
allant bien souvent à l’encontre du bon sens paysan, relève de la
manipulation sociétale et équivaut à déstabiliser de façon
irréversible l’ensemble des filières agricoles.
L’État
français doit donc désormais clairement se positionner, soit en
faveur des agriculteurs, soit en faveur des écologistes. Compte tenu
du contexte et de la confusion, voire de la désinformation, qui
chemine dans l’esprit des consommateurs, le “en même temps” ne
fonctionnera pas sur ce coup-là, monsieur le ministre.
Vos
services pourraient à ce titre et, bien sûr, en toute impartialité,
estimer ce que pourrait réellement produire une agriculture dite
“écologique” en tenant compte des règles que veulent imposer
les ONG et autres activistes du moment. Nous saurions alors si vous
pouvez vraiment leur confier la clé des champs !