«Comment E.
coli est devenu célèbre», source
article de Roberto
Kolter sur le site de l'ASM.
Figure 1. Tout ce qui est
vrai pour E. coli
est
vrai pour l’éléphants. Source.
Frontispice: E. coli
avec des phages. Source.
Je n'ai pas pu m'en
empêcher, j'ai dû inclure le mot "rose"(provient de to rise, traduit ici par croissance) dans le titre de
cet article. La raison ? J'ai été poussé à le faire, inspiré par
un remarquable reportage d'investigation
de Memo Berkmen et Paul Riggs publié
dans Small
Things
Considered en 2016. Ils y décrivent
leurs tentatives héroïques - même si elles ont échoué - pour
déterminer comment E. coli
K-12 a obtenu son nom. Ils s'appellent eux-mêmes «...
les amoureux de cet E. coli à l'odeur aigre...»
après avoir cité ce conte immortel d'amoureux, Roméo et Juliette
de Shakespeare:
«Qu'y a-t-il dans un nom ?
Ce que nous appelons rose, par n'importe quel
autre nom sentirait aussi bon»
Même si ma «rose» est le verbe et non le nom,
j'espère que vous trouverez cette histoire tout aussi douce. Alors
que Memo et Paul cherchaient l'origine d'un nom de la plus célèbre
de toutes les souches de E. coli, j'ai cherché des détails
sur la façon dont un chétif habitant de l'intestin humain a pris
une telle importance en biologie moléculaire.
Ce message a été inspiré
par la question
talmudique n°191 de la semaine dernière avec
la contribution
de
Michael Malamy. J'ai pensé qu'une question tout aussi talmudique est
celle-ci: étant un microbe intestinal si chétif (surpassé en
nombre par les anaérobies de >1000 à 1), comment E.
coli a-t-il pris une telle
importance en biologie moléculaire ? Une proéminence qui se résume
dans l'aphorisme bien connu attribué à Jacques Monod: «Tout
ce qui est vrai pour le Colibacille est vrai pour l'éléphant.»
(Avant d'élaborer sur la montée en
célébrité de
E. coli,
je dois introduire une note de remerciements.
C'est Dianne
Newman qui a d'abord attiré mon attention sur le fait que cette
citation est élaborée à partir d'une déclaration formulée plus
tôt par Jan
Kluyver en décrivant l'unité de biochimie: «de
l'éléphant à la bactérie butyrique, tout
est identique.».
Pour cela et bien plus encore, merci beaucoup !)
Figure 2.
Traité d'habilitation d’Escherich.
Source.
La première
description de E. coli se trouve dans le traité d'habilitation de
Theodor Escherich, Die Darmbakterien
des Säuglings und ihre Beziehungen zur Physiologie der Verdauung
(Les entérobactéries
des
nourrissons et
leur relation avec la physiology de la digestion).
Il a été publié en 1886 et a fait d'Escherich le premier
médecin spécialiste des maladies infectieuses pédriatiques.
Dans le texte, Escherich décrit une bactérie communément isolée
des selles de nouveau-nés sains et la nomme Bacterium
coli commune. Son abondance relative
chez les nouveau-nés par rapport aux adultes, son taux de croissance
rapide et les conditions de culture anaérobie «pas si strictes»
qu'il a utilisées ont probablement tous contribué à ce que cette
bactérie dépasse les anaérobies beaucoup plus nombreuses
dans l'intestin. En 1895, ces isolats ont été renommés Bacillus
coli, simplement parce qu'il
s'agissait de bâtonnets (Bacillus -
du latin baculus = bâton). Le genre Escherichia
– en l'honneur du découvreur – a été établi
en 1919 par Castellani et Chalmers et présenté dans leur étonnant
livre
Manual
of Tropical Medicine. Une
lecture de cette
publication en vaudrait
la peine ! Et pour un traitement complet des réalisations
d'Escherich ainsi que des comptes rendus détaillés des premiers
travaux avec E. coli,
je recommande fortement le chapitre EcoSal
«Escherich et Escherichia»
par Herbert C. Friedmann.
Les premières hypothèses
selon lesquelles E. coli
allait jouer un rôle clé dans la naissance de la biologie
moléculaire ont eu lieu au début du XXe siècle. En 1907, Rudolf
Massini, travaillant à l'Institut de thérapie expérimentale de
Paul Ehrlich à Francfort, en Allemagne, a publié un article (tel
que cité ici)
caractérisant une souche de E.
coli qui a commencé comme non
fermentant le lactose.
Après une incubation prolongée sur un milieu indicateur de lactose,
des papillae
Lac+ sont apparues dans les colonies Lac–. La descendance des
papillae
est restée Lac+ après re-ensemencement.
Massini a appelé la souche Bacillus
coli mutabile. Selon ses propres
termes: «Ce travail constitue une
contribution de la bactériologie à la théorie de la mutation»,
suggérant (au moins dans une interprétation rétrospective) que E.
coli pourrait se prêter à des
analyses génétiques. Massini était donc en avance sur son temps en
faisant ce genre de génétique bactérienne.
Figure 3. Exemple d’une
colonie avec
des papillae.
Source.
E. coli
était également au cœur des premiers travaux sur les
bactériophages. Dans ma lecture de la description de Twort en 1915
de «virus ultra-microscopiques» (c'est-à-dire l'article
noté comme documentant la découverte des bactériophages), il est
possible que, dans certains cas, il ait pu travailler avec des
isolats de Bacillus coli.
Quoi qu'il en soit, lorsqu'au début des années 1920, André
Gratia a redécouvert le travail original de Twort, il a commencé
à utiliser E. coli.
Gratia était également en avance sur son temps, dans de nombreux
aspects,
un pionnier de la génétique de E.
coli. Par exemple, en 1925, il a
publié sa découverte sur
la production d'une substance antimicrobienne à partir de
E. coli,
la Colicine V, des années avant le récit de Fleming sur la
pénicilline. Ainsi, dans les années 1920, le décor était planté.
Escherichia coli
avait son nom propre et de nombreux chercheurs s'intéressaient à sa
compréhension. Comment se fait-il qu'au cours des vingt prochaines
années E. coli
soit devenu
au centre du drame de la naissance de la biologie moléculaire ? À
mon avis, c'était une pièce en trois actes: le groupe des phages,
l'école française et les Lederberg. C’est
plein de légendes et beaucoup de choses
ont été écrites sur les trois. Ici, je veux simplement relater la
façon dont chaque groupe a choisi de travailler avec E. coli.
Selon la plupart des
témoignages, le groupe Phage s'est formé à la fin des années 1930
grâce aux interactions d'Alfred Hershey, Salvador Luria et Max
Delbrück. Hershey et Luria avaient déjà suivi une formation sur le
travail des phages. Mais c'est l'introduction par Delbrück de
l'utilisation de E.
coli et de ses phages qui a
solidifié le groupe. Le choix de Delbrück est une histoire d'être
au bon endroit au bon moment et de saisir l'opportunité. Delbrück
avait suivi une formation de physicien théoricien en Allemagne et
s'étant intéressé aux gènes, il est allé à Caltech en 1937 pour
travailler sur la génétique de la drosophile avec Thomas Morgan.
Après six mois frustrants compte tenu de la lenteur de ce système
modèle, il a été attiré par le travail qu'Emory Ellis faisait
avec les bactériophages comme moyen de comprendre la biologie de
base des virus qui pourraient être impliqués dans le cancer. Ellis
et sa femme Marion avaient mis en place un système utilisant des
phages obtenus de la station d'épuration de Pasadena. Voici le
déclic. En tant qu'hôte bactérien, ils utilisaient E. coli !
Pourquoi ? Tout simplement parce qu'il était disponible auprès de
Carl Lindegren, un étudiant du groupe de Morgan. D'une certaine
manière, Delbrück a reçu E. coli
sur un plateau d'argent. Mais il savait certainement comment courir
avec et c'est ce qu'il a fait. En 1943, lui et Luria avaient publié
leur article phare sur l'origine des mutants et, ce faisant, avaient
utilisé E. coli
pour donner naissance à la génétique microbienne.
Comme merveilleusement
racontée
par Agnès Ullmann, l'École française de biologie moléculaire
était dirigée par André Lwoff, Jacques Monod et François Jacob.
Comment ils en sont venus à se concentrer sur E.
coli est
également une anecdote amusante. A peu près au moment où Delbrück
arriva à Caltech (1937) Monod quittait Caltech après une courte
visite avec le groupe de Morgan. Monod a ensuite pris un poste de
professeur à la Sorbonne à Paris. Surtout, il a souvent rencontré
Lwoff. (La visite de Monod à Caltech s'est avérée salvatrice, les
détails des raisons pour lesquelles vous devrez lire se
trouve dans l'essai
d'Ullmann.) Lwoff
raconte comment il a introduit Monod à E.
coli. «Je lui ai conseillé d'utiliser une bactérie capable de se
développer dans un milieu synthétique, par exemple Escherichia
coli. Est-ce pathogène ? demanda Jacques. La réponse étant
satisfaisante, Monod commença, en 1937, à jouer avec E. coli et
cela
a étté
l'origine de tout…» Tout en effet
! En 1940, Monod avait découvert la croissance
diauxique, marquant le début d'une longue amitié avec le
lactose et E. coli.
L'arrivée des Lederberg sur
la scène de E.
coli est survenue un peu plus tard.
Mais quel bang ils ont créé ! En 1946, Joshua
Lederberg et Edward Tatum ont publié leur découverte de la
recombinaison de gènes chez
E. coli,
ouvrant grand le champ de la génétique de
E. coli.
Ce fut la première des nombreuses contributions énormes que Josh a
apportées à la biologie moléculaire en utilisant cette bactérie.
Peu de temps après, en 1950, Esther
Lederberg a découvert le phage lambda lysogène, qui allait
bientôt être parallèle à l'opéron lac
en termes de fournir des informations sur la régulation des gènes.
Ces deux découvertes fondatrices ont été réalisées à l'aide de
E. coli
K-12. L’article
dans Small Rthings Considered
recherchant comment cette variété a obtenu son nom suit déjà son
histoire de Stanford aux Lederbergs. Ce qu'il faut répéter ici,
c'est l'incroyable coup de chance qu'ils ont eu à utiliser une
souche qui avait deux traits inhabituels : un plasmide conjugatif et
intégratif (F) déréprimé qui a permis la détection de la
recombinaison et le prophage lambda.
Le reste, comme l’on dit, appartient à
l'histoire !