Les récentes déclarations d'urgence de santé publique à New York
et à Londres en raison d'infections par la poliomyélite et la
détection du virus dans les eaux usées de ces villes indiquent
clairement que la poliomyélite n'est plus sur le point d'être
éradiquée.
Désormais,
quatre membres du Global
Virus Network (GVN) ont
proposé des changements dans la stratégie mondiale d'éradication
de la poliomyélite afin de remettre le monde sur la bonne voie pour
éliminer un jour la menace de la poliomyélite. Les auteurs des
recommandations comprenaient le directeur et cofondateur de
l'Institut de virologie humaine de l'École de médecine de
l'Université du Maryland, Robert C. Gallo, professeur émérite de
médecine et cofondateur et président du conseil de direction
scientifique du
GVN, deux des plus éminents experts mondiaux en poliovirus,
Konstantin Chumakov, professeur à l'Université George Washington et
à l'Université du Maryland, et Stanley Plotkin, conseiller
scientifique de la Coalition for Epidemic Preparedness Innovations
(CEPI) et le président de GVN, Christian Bréchot, professeur à
l'Université de Floride du Sud.
Ils ont suggéré que l'éradication n'est possible qu'en assurant la
couverture vaccinale la plus élevée possible dans le monde et en la
maintenant indéfiniment Les politiques de vaccination doivent
être adaptées individuellement aux différentes régions du monde
et utiliser à la fois le vaccin antipoliomyélitique composé de
virus inactivé (en combinaison avec d'autres vaccins) ainsi que de
nouveaux vaccins antipoliomyélitiques oraux améliorés qui
utilisent un virus vivant affaibli. Les experts ont également
exhorté à convoquer à nouveau un groupe scientifique conseillant
l'OMS sur l'éradication du poliovirus qui peut répondre au besoin
et adapter les politiques face à de nouvelles données ou à des
urgences de santé publique.
Les experts en maladies
infectieuses ont publié leur point de vue dans le New
England Journal of Medicine le
16 février 2023.
L'Initiative mondiale pour l'éradication de la polio (GPEI pour
Global Polio Eradication Initiative), qui s'est formée il y a 34
ans, visait l'objectif d'éradication de la poliomyélite d'ici 2000.
Ce groupe a élaboré le plan
original d'éradication de la poliomyélite et formé un groupe
consultatif scientifique, qui a ensuite été dissous avant que les
objectifs prévus ne soient atteints. Selon les auteurs, cela a
conduit à certaines décisions qui n'étaient pas fondées sur des
bases scientifiques solides, notamment de ne plus immuniser contre
l'un des trois types de poliovirus alors qu'une version plus faible
de ce poliovirus était encore présente dans les communautés. La
résurgence de la circulation du poliovirus qui en résulte se
poursuit jusqu'à ce jour, et le virus est réapparu au Royaume-Uni,
aux États-Unis et dans d'autres pays après des décennies où il
pensait être éradiqué.
«L'Initiative a basé ses
directives sur la stratégie qui a été utilisée pour éradiquer la
variole. Cependant, le poliovirus est plus délicat dans la mesure où
pour chaque personne paralysée par une infection, des centaines ne
présentent aucun symptôme, ce qui signifie que le virus peut
circuler silencieusement dans les communautés sans que personne ne
le sache», a dit
le Dr Gallo. «Il
était prématuré de supposer que les plans suivraient leur cours
sans heurts. Ces récentes épidémies confirment la nécessité d'un
groupe consultatif scientifique actif qui peut conseiller, mobiliser
et ajuster le plan d'éradication de la poliomyélite en temps réel
selon les besoins.»
Au cours des dernières décennies, il y a eu une augmentation des
voyages dans le monde, ce qui peut permettre aux infections de migrer
des pays en développement où elles sont plus courantes vers les
communautés des pays industrialisés où elles peuvent se propager
sans être détectées, devenant ainsi le plus grand danger pour les
personnes non vaccinées et les personnes avec un système
immunitaire affaibli.
Alors que la plupart des personnes
au Royaume-Uni et aux États-Unis sont vaccinées contre la
poliomyélite, comment cette récente épidémie dans deux grandes
villes internationales s'est-elle produite ? Comme pour d'autres
virus autrefois considérés comme rares dans les pays plus
développés, comme la rougeole ou les oreillons, certaines
communautés ont choisi de ne pas vacciner. De plus, la nature des
vaccins antipoliomyélitiques dans les pays industrialisés a
peut-être permis à des infections asymptomatiques de circuler sans
être détectées depuis un certain temps maintenant.
Il existe deux principaux types de
vaccins antipoliomyélitiques : la version injectable utilise des
particules virales non infectieuses pour générer l'immunité (IPV
pour inactivated polio
virus) ou le vaccin
antipoliomyélitique oral (OPV pour
oral polivirus vaccine) qui
utilise une version vivante et affaiblie du virus.
«Le vaccin
antipoliomyélitique injectable ‘tué’ protège de la paralysie,
mais contrairement à la version vivante, il ne génère pas
d'immunité robuste dans le tractus intestinal nécessaire pour
empêcher la circulation du virus. Cela signifie que des cas
asymptomatiques peuvent circuler chez les personnes vaccinées.
Alors, pourquoi n'utilisons-nous pas la version ‘vivante’
à la place ?», dit
le Dr Chumakov. «La
version vivante atténuée peut revenir à la virulence (une version
plus infectieuse) et se propager aux personnes non vaccinées ou dont
le système immunitaire est affaibli et qui provoquent parfois une
maladie paralytique. En fait, des versions mutées du vaccin
antipoliomyélitique oral circulent actuellement à Londres et à New
York. C'est un Catch-22
(situation
ubuesque, perdant-perdant), mais il y a peut-être une issue :
récemment, une nouvelle version du vaccin a été développée qui
ne se convertit pas en poliovirus virulent dérivé d'un vaccin. En
combinaison avec le vaccin antipoliomyélitique injectable, ce
nouveau vaccin antipoliomyélitique oral peut devenir un outil
efficace pour créer en toute sécurité une immunité complète qui
peut arrêter la propagation de la maladie.
L'éradication actuelle de la
poliomyélite prévoit l'élimination progressive des vaccins
antipoliomyélitiques oraux vivants trois ans après la documentation
du dernier cas de poliovirus sauvage ou naturel, en le remplaçant
par le vaccin antipoliomyélitique injectable.
«Comme l'histoire nous l'a
récemment montré avec les vaccins contre
la COVID,
ce n'est pas parce que nous aimerions que ces vaccins soient
disponibles qu'ils le seront. Il peut y avoir une bousculade et les
pays les plus riches obtiendront les vaccins avant les autres», a
dit
le Dr Plotkin. «Par
conséquent, au GVN, nous proposons que le groupe institue un
changement de politique non basé uniquement sur la
fin d’une
étape,
mais plutôt sur la question de savoir s'il existe une offre
appropriée pour compenser l'augmentation de la demande. Mieux
encore, intégrez une stratégie pour garantir qu'il y aura des
vaccins antipoliomyélitiques injectables disponibles pour soutenir
l'approvisionnement mondial le moment venu.
Une fois que le monde se convertira
entièrement aux vaccins injectables, le plan du GEPI était de
supprimer tous les vaccins contre la poliomyélite dix ans après
cette transition.
«Le plus gros problème
sur la voie de l'éradication de la poliomyélite est de le faire en
toute sécurité grâce à l'utilisation combinée de vaccins oraux
inactivés et vivants. Le premier empêcherait la paralysie due au
poliovirus sauvage et dérivé du vaccin, tandis que le second
empêcherait à terme la circulation des deux formes de poliovirus et
de la paralysie», a
dit
le Dr Bréchot. «L'industrie
du vaccin est capable de fabriquer les deux si on lui en donne
l'ordre.»