dimanche 27 novembre 2022

Choses lues sur la souffrance animale, la barbarie et la corrida

Dans un entretien au Figaro du 26 novembre 2022 avec Eugénie Bastié, Jean-Claude Michéa, philosophe, indique, «Les habitants des métropoles ont une vision Walt Disney de l’animalité». Quelques courts extraits de cet entretien. Les sous-titres sont du blog.

Qui est barbare ?
C’est qu’un (ou une) anti-corrida vit précisément toujour par définition, son propre refus de chercher à comprendre qu’on puisse trouver la moindre valeur à un spectacle aussi « barbare » comme un signe supplémentaire de sa supériorité morale et humaine. Attitude typiquement néocoloniale, en somme et contre laquelle Lévis-Strauss nous avait pourtant mis en garde dans ‘Race et histoire’ : «Le barbare», y observait-il (Montaigne diasait d’ailleurs la même chose quatre siècles plutôt) «c’est d’abord l’homme qui croit à la barbarie.»

Corrida, acte de torture ?
Un torero risque sa vie (ou du moins de graves blessures) chaque fois qu’il affronte un taureau de combat. Klaus Barbie, lui, ne risquait rien chaque fois qu’il torturait Jean Moulin ! Et si on cherchait l’exemple d’une mort particulièrement atroce infligée à une bête incapable de se défendre, on devrait plutôt songer, au passage, aux milliers de brebis égorgées chaque année par ces loups que les amis d’Aymeric Caron semblent pourtant prendre le plus grand plaisir à réintroduire auprès des derniers bergers. Notre village célébrant chaque été le passage de la transhumance, c’est là un type de «souffrance animale» auquel je suis forcément très sensible !

Vous avez dit souffrance animale …
Le problème est que c’est aussi une réalité à laquelle les habitants des grandes métropoles sont devenus presque structurellement étrangers. Dans leur monde aseptisé, simplifié, et coupé de tout lien véritable avec la nature, la mort (y compris celle des humains) se voit en effet méthodiquement tenue à distance, la société «inclusive» (synonyme aujourd’hui de libéralisme intégral) devant désormais être conçue – sur le modèle des campus de l’Amérique woke – comme un immense safe space (ou un immense parc Disney).

Les anti-corrida veullent-ils la fin d’une culture populaire ?
L’actuelle croisade de classe contre la corrida – dont le pauvre Aymeric Caron n’est que l’idiot utile (un rôle dans lequel, cela dit, il est toujours parfait!) ne peut donc être entièrement comprise que si on la réinscrit d’abord dans un projet politique beaucoup plus général: celui d’éradiquer définitivement tous les obstacles culturels (au premier rang desquels, naturellement, la plupart des traditions populaires encore vivantes) au développement sans réplique (ou «sans la moindre limite morale ou naturelle», comme l’écrivait Marx ) du Marché «autorégulé» et uniformisateur. Il ne faut donc pas se leurrer. Cette offensive en règle contre la corrida n’est en réalité que la première étape – ou le galop d’essai – d’un processus «néolibéral» visant à «déconstruire», à terme, toutes les formes d’autonomie et de culture populaire. Il n’est donc pas nécessaire d’être soi-même un amoureux de la corrida pour comprendre tout ce qui est en jeu dans cette croisade de classes.

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