«Combien de temps doit durer la douche parfaite pour le climat ?» Nous sommes samedi matin et je vois passer cette question, publiée par le Huffington Post sur le fil des actualités qui nous incitent, de façon plus ou moins subliminale, à adapter notre modus vivendi. Et c’est Florence Clément, responsable de l’information pour le grand public à l’ADEME, qui répond : «On dit aux gens de prendre une douche sans dépasser le temps d’une chanson». Autrement dit quelques gouttes si l’on écoute «You Suffer» du groupe Napalm Death pendant 1,316 secondes ou quelques millions de mètres cubes pendant 639 ans si l’on choisit «As low as possible» de John Cage, partition de huit pages où il faut attendre des mois pour passer d’une note à l’autre. Nonobstant cette amplitude musicale, je ne sais pas vous, mais en ce qui me concerne, tous ces petits conseils commencent à m’emmerder.
Tout, absolument tout ce que l’on nous raconte est destiné à nous faire culpabiliser, à nous infantiliser. Le maçon qui quitte la poussière d’un chantier, l’agriculteur qui vient de faucher ou celui qui sort de sa serre en plein été, le boulanger qui termine sa nuit dans la chaleur du fournil, l’infirmière qui vient de panser les plaies ou le mécano qui a passé sa journée dans le cambouis ont-ils vraiment envie de se demander «combien de temps doit durer la douche parfaite pour le climat ?».
Non, pas plus qu’ils n’ont (pour la plupart d’entre eux) envie de savoir s’ils doivent tondre leur pelouse ou pas, s’ils doivent éteindre la lumière, privilégier les steaks végétaux à la viande grillée sur un barbecue, essayer la farine d’insecte, utiliser davantage son vélo, laisser la bagnole au garage, préférer la paresse aux embouteillages, mettre un couvercle sur la casserole, boire dans une gourde, acheter des frusques d’occasion, fabriquer ses produits ménagers, composter, économiser, trier, recycler, s’adapter, obtempérer et consommer. Oui, au bout du compte, consommer autre chose et, si possible, ce que les nouveaux marchands de raisonnement veulent nous fourguer.
Car c’est ce que nous devons comprendre entre deux spots météos où la gentille présentatrice nous explique comment protéger la couche d’ozone alors que, dans la seconde suivante, la même chaine de télévision nous incite à prendre l’aéroplane pour aller nous changer les idées à l’autre bout d’une planète dangereusement menacée.
Idem pour ces émissions anxiogènes où l’on nous impute la responsabilité des inondations, des pollutions et des sécheresses, entre deux spots publicitaires vantant les mérites du dernier cabriolet, les supers promos de l’hypermarché, la banque et ses taux d’intérêt, le téléphone qu’il faut absolument acheter si l’on ne veut pas passer pour un demeuré, la basket cousue/collée en Corée, le burger «koncépasouiléfabriqué», le bouquin écolo édité dans du bois d’arbre sacrifié ou le maquillage préféré de quelque mater dolorosa, préposée aux frasques du tapis rouge et du prêt à porter, toujours prompte à nous dire avec quoi nous ne devons surtout pas nous nourrir, nous déplacer ou nous habiller.
Cette débauche de conseils, parfois puérils, désormais dispensés des bancs de la maternelle aux amphis d’université, répétés à longueur de journée sur tout ce que nous voyons et derrière tout ce que nous écoutons, conditionne insidieusement notre quotidien et notre façon de penser. L’écologie est devenue une mode à laquelle il faut souscrire si l’on ne veut pas être ostracisé, désigné, accusé. Ou comment le type qui roule en C15 (Citroën, utilitaire méconnu de ceux qui n’ont jamais mis les pieds sur terre) doit être sanctionné ou interdit de circuler, alors que le citadin équipé d’un véhicule hybride japonais dûment sponsorisé doit être subventionné, remercié, encouragé, glorifié, considéré comme étant indispensable au bon fonctionnement de nos petites sociétés. Ces petites sociétés, contraintes et calibrées condamnées à avancer dans la «sobriété». Tristes, obéissantes, dépendantes, résilientes, resignées, emmerdées !
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