Cela fait près de deux décennies que le terme «disruption» ou déstabilisation d’un marché est régulièrement employé, avec comme exemples les plus connus Uber pour les taxis ou AirBnB dans le marché de l’hôtellerie. Il semblerait aujourd’hui qu’un autre marché, stable et peu élastique (inférieur à 1), serait en passe de se faire «uberiser», l’industrie de la viande. En 2013, le premier steak fabriqué in vitro a pu être dégusté à Londres. Une «viande» fabriquée à partir de cellules souches élevées dans des boîtes de Petri et arrosée de divers additifs pour améliorer sa texture. Aujourd’hui de nombreuses entreprises de la Silicon Valley comme Beyond Meat, Just Food, Memphis Meats, Mosa Meat ou Impossible Foods travaillent à fabriquer la «viande propre» ou «viande éthique» ; faisant référence à la pollution induite par la surindustrialisation de la filière. De même qu’en France avec Gourmey qui travaille sur du foie gras de synthèse. La filière attire aussi de grands investisseurs comme Bill Gates, Richard Branson (patron de Virgin), Jack Welch (ancien PDG de General Electric) ou Tyson Foods, la plus grande entreprise alimentaire américaine dont la réputation ne connote pas toujours avec l’écologie ou l’éthique. Malgré les difficultés techniques, le prix de la viande de synthèse restant très élevé, l’enjeu est énorme. La maitrise des brevets de fabrication et de production leurs ouvriraient un marché gigantesque, on estime que la consommation de viande mondiale devrait augmenter de 70% d’ici 2050. Néanmoins, avec une tendance de plus en plus prononcée à l’alimentation biologique, le véritable défi sera de convaincre les populations de consommer une viande provenant d’un laboratoire. C’est pourquoi de nombreux investissements sont dirigés vers des sociétés de lobbying et des associations de défense des animaux. Les uns pour «préparer» l’opinion public à cette technologie tandis que les autres influences les différentes instances publiques pour la mise en place de normes et l’autorisation de sa commercialisation.
En outre, les cellules nécessaires à la fabrication du sérum permettant la création de la viande in-vitro proviennent de fœtus d’animaux. Ce qui nécessite l’abattage de vaches gestantes pour y extraire leur fœtus et les précieuses cellules souches. Un procédé qui ne correspond pas vraiment à la production de «viandes éthiques» qui est censée respecter l’animal et son bien-être.
En réalité les enjeux sont plus commerciaux qu’éthiques, le marché de la viande est très important et peu élastique. C’est-à-dire que les produits sont considérés comme relevant d’une nécessité et qu’il y aura toujours des acheteurs malgré la fluctuation de prix. Même avec les divers associations et mouvements, il est peu probable qu’une forte chute de la consommation de viande survienne à moyen terme. En 2019, la production mondiale de viande était de 338,8 millions de tonnes (en équivalent poids carcasse). Rien qu’en Europe, les pays exportaient pour 2,5 milliards d’euros de viande et en importaient pour 1,5 milliards.
Outre les avantages commerciaux, c’est aussi un puissant levier de contrôle. Dans l’hypothèse d’un monde où la population consommerait seulement de la viande artificielle, le détenteur des brevets de fabrication contrôlerait le marché et la production mondial de l’alimentation non agricole.
Aujourd’hui la production de la viande in-vitro reste difficile, engendrant un prix élevé du produit. Cependant, les investissements importants de Bill Gates, de Kimbal Musk (frère du PDG de Tesla) ou de Google pourraient accélérer son développement. De surcroit, les stratégies d’influences semblent fonctionner, Singapour a autorisé sa vente et les États-Unis réfléchissent déjà à la structure qui s’occupera de la réglementation. Pour le moment, l’Europe semble avoir des réticences à la commercialisation de la viande artificielle sur son sol.
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