jeudi 7 février 2019

Sécurité sanitaire des aliments en France: La Cour des comptes fait de nouveau des constats d'impuissance

Et un rapport de plus, dira-t-on ?

La Cour des comptes publie le 5 février 2019 un volet de son rapport public annuel 2019 sur le « Contrôle de la sécurité sanitaire de l’alimentation : des progrès à consolider ».

Le titre est assez doux, on ne tire pas sur une ambulance, mais le contenu est tout aussi précis et méthodique dans les reproches formulés.

Tout cela part d'« un premier contrôle, en 2013, de la politique de sécurité sanitaire de l’alimentation, qui l’avait amenée à formuler cinq recommandations à son rapport public annuel de 2014, la Cour s’est penchée, en 2018, sur les suites qui leur ont été données. »


L'année 2014 a été une mauvaise année pour les ministères chargées de la sécurité sanitaire des aliments.

En décembre 2014 est paru un autre rapport remis lundi 8 décembre 2014 au ministre en charge de l’alimentation, Stéphane Le Foll, qui dresse un portrait très critique de la politique française de sécurité sanitaire des aliments. Il pointe notamment l’impressionnante baisse des contrôles au cours des dernières années.

Entre autres recommandations, les deux rapporteurs, Marion Guillou et Christian Babusiaux, proposent, « par une information accrue du public et des garanties de transparence, de travailler à restaurer la confiance du public, aussi bien dans la parole publique que dans les opérateurs ».  Source Journal de l'environnement.

La Cour relève que des progrès ont été réalisés dans la programmation, le ciblage et les suites données aux inspections (I), mais que des faiblesses persistent dans la chaîne de contrôle (II) et que la gouvernance de cette politique publique doit être clarifiée et son financement optimisé (III).
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Ci-dessus, les cinq recommandations du précédent rapport, vous lirez en fin d'article les cinq nouvelles recommandations ...

Ainsi, il est noté dans rapport 2019, « Des progrès dans la programmation, le ciblage et les suites données aux inspections », c'est maigre ...

De même, il est indiqué,
Chaque année, les plans de contrôle et de surveillance élaborés et mis en œuvre par la DGAL comprennent ainsi un important volet consacré à la surveillance, qui permet d’obtenir une estimation de la contamination dans une production définie (comme par exemple de la contamination des fromages au lait cru par la bactérie Listeria monocytogenes) et, ce faisant, d’évaluer le niveau d’exposition potentielle du consommateur à ce danger.

Le petit souci est que le dernier plan de surveillance et de contrôle qui s'est intéressé à Listeria monocytogenes dans les fromages au lait cru date de 2016.

Dans un paragraphe, « Des contrôles globalement mieux ciblés », on découvre (on s'en doutait),
Les contrôles réalisés par la DGCCRF aux différents stades de la production et de la commercialisation des aliments relevant de ses attributions ont baissé sur l’ensemble de la période 2013-2017. La diminution la plus sensible du nombre d’inspections effectuées par cette administration concerne les établissements de distribution et de restauration (-20 % entre 2013 et 2017), ce qui porte le taux de couverture dans ce secteur à un niveau extrêmement bas (4 % en 2017). Dans le même temps, la proportion d’entreprises contrôlées présentant des anomalies a augmenté dans presque tous les secteurs inspectés par les services de la DGCCRF (le taux moyen d’anomalies est ainsi passé de 42 à 49 % entre 2013 et 2017).

Pour la DGAL, il est noté, « cette administration a maintenu le nombre de contrôles effectués par ses services depuis 2015 ainsi que le taux d’anomalies constatées, qui atteint 41 % en 2016 et 2017. ».

Le souci principal est que réside dans le fait que les inspection en sécurité des aliments sont en baisse constante depuis 2012, selon les chiffres mêmes de la DGAL, voir ici et ici.

Dans « Une politique de suites mieux encadrée », on apprend que la récréation est finie,
En 2015, la DGAL a révisé et renforcé sa politique de suites pour s’assurer de leur mise en œuvre harmonisée par l’ensemble des services. Ainsi, entre 2013 et 2017, le nombre de suites données aux contrôles réalisés par les services de la DGAL a augmenté, toutes catégories confondues. Les avertissements adressés aux opérateurs contrôlés ont crû (+67 %), en partie du fait d’un durcissement de la politique de suites de la DGAL. Désormais, un avertissement est systématiquement adressé aux entreprises ayant un niveau de maîtrise des risques seulement « acceptable » (noté B sur une échelle allant de A à D). De même, le nombre de suites contraignantes mises en œuvre depuis ce renforcement a augmenté de 37 %.

Concernant le volet des autocontrôles, 
« la transmission obligatoire à l’administration de résultats d’analyses non conformes, révélés par des autocontrôles, revêt une importance capitale. Elle permet en effet aux services de l’État de contrôler rapidement les mesures prises par l’entreprise pour remédier aux anomalies détectées. »

Rien n'a bougé depuis 2014 selon la Cour des comptes, « Quatre ans plus tard, aucune des mesures nécessaires à la mise en œuvre de cette obligation n’avait été prise. »

Pour revenir aux contrôles dont la Cour des comptes estimait qu'ils étaient « globalement mieux ciblés »,
Ces moyens humains ne permettent pas de couvrir, par un contrôle de premier niveau, une part significative des établissements de certains secteurs. Tel est le cas de la remise directe au consommateur, secteur où les établissements sont nombreux et dispersés. En 2017, le taux de couverture de ce secteur d’activité atteint par les services de contrôle atteignait 9 % pour la DGAL et 4 % pour la DGCCRF. Au titre de la sécurité sanitaire de l’alimentation, un établissement de restauration est donc contrôlé en moyenne tous les quinze ans par les services de l’État.

Le volet bouteille à l'encre des « Des mesures de retrait et de rappel dont l’effectivité doit être assurée » il est noté qu'« Il est donc indispensable d’améliorer l’exécution des mesures de retrait et de rappel de produits alimentaires dangereux. ».

D'accord mais comment fait-on ?

La Cour des compte estime que le dispositif Alim'confiance est un dispositif fournissant « Une publicité à donner à l’ensemble des résultats des contrôles ».
Comme la DGAL est la seule administration à y participer, cela ne fonctionne pas, d'où la colère de la Cour des comptes,
Quelle qu’en soit la justification, cette situation est anormale : le décret vise tous les contrôles rendus obligatoires par la réglementation européenne, sans distinction entre les administrations chargées d’effectuer les vérifications, qui sont donc toutes tenues de l’appliquer.

De la critique du modèle sanitaire français,
Le modèle français, qui sépare, au stade de la mise sur le marché, le pilotage de la sécurité sanitaire des aliments d’origine animale (DGAL) de celle des aliments d’origine végétale (DGCCRF), tout en confiant la qualité des eaux à une troisième administration (DGS), constitue une originalité en Europe.

Devant la complexité du sujet, la Cour des comptes préfère botter en touche,
À ce stade, il est pour le moins indispensable de clarifier la gouvernance, en désignant un chef de file de l’ensemble du dispositif.

Sur la rationalisation des réseaux de laboratoires, la Cour des comptes rappelle qu'une mutualisation est indispensable entre les différentes administrations … oui quand cela aura-t-il lieu ?

Sur la question du budget, trois administrations y concourent, le ministère de l'agriculture, la DGGCRF et la mission Santé dont la Cour des comptes indique que « la Direction générale de la santé n’étant pas en mesure d’en chiffrer le montant, en tout état de cause limité. »

De même, selon un rapport du Sénat, « : il n’existe pas à l’heure actuelle de document de politique transversale permettant de regrouper et de suivre globalement les masses budgétaires qui concourent, en dépenses et en recettes, à la sécurité sanitaire de l’alimentation. »

De même que le modèle français de sécurité sanitaire constitue une originalité en Europe, « La faible participation des professionnels au financement des contrôles sanitaires de l’alimentation : une exception française. »

L'ensemble de ces constats conduisent à nouveau la Cour à formuler les cinq recommandations suivantes :
1. (DGAL, DGCCRF) assurer l’effectivité des mesures de retrait et de rappel de denrées alimentaires dangereuses, en ayant en particulier recours au blocage en caisse de celles-ci dans les cas les plus graves ;

2. (DGAL, DGCCRF) publier toutes les mesures de retrait et de rappel de denrées alimentaires dangereuses sur un site internet unique ;
3. (DGAL) établir une analyse de risques spécifique aux établissements bénéficiant d’une dérogation à l’obligation d’agrément prévue par le règlement européen n° 853/2004, et organiser en conséquence la programmation de leur contrôle ;

4. (Pouvoirs publics) désigner un chef de file de l’ensemble du dispositif de contrôle de la sécurité sanitaire de l’alimentation ;

5. (DGAL, DGFiP) faire participer davantage les professionnels au financement des contrôles sanitaires en augmentant le rendement des redevances sanitaires prévues par le code général des impôts.

A noter que le mot « consommateur » n'est utilisé dans rapport 2019 de la Cour des comptes que huit fois contre zéro à transparence et opacité ..., la Cour semble bien bonne ...

On lira aussi comme exemple patenté de langue de bois les réponses de la ministre des solidarités et de la santé, du ministre de l’économie et des finances et du ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Nous en reparlerons dans un prochain article ...

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