lundi 14 février 2022

Oxyde d’éthylène : vers une approche réaliste de la sécurité alimentaire ou comment éviter des rappels inutiles, selon la Belgique

Si l’on cherche le terme ‘oxyde d’éthylène’ sur le site de l’ANIA, l’Association Nationale des Industries Alimentaires, il n’y a rien à signler, et pourtant les consommateurs connissent tous depuis plus d’un et demi le nom de ce pesticide, étonnant, non ?

En effet, selon la DGCCRF, depuis le 20 octobre 2020, il y a eu 16 566 rappels (références et lots), mise à jour au 11 février 2022. On ne peut pas en vouloir à l'ANIA, il n'y a nulle part en France d'information fiable et scientifique, mis à part dans cet article, Aliments contaminés par l’oxyde d’éthylène : quelle est la réalité des risques ?

Heureusement, nos amis belges répondent présents !
Ainsi, la FEVIA, la Fédération de l'industrie alimentaire belge, nous propose «Oxyde d’éthylène : vers une approche réaliste de la sécurité alimentaire».

À peine remises de la crise du coronavirus, de nombreuses entreprises alimentaires ont été confrontées l'année dernière à des rappels dus à la présence d'oxyde d'éthylène dans leurs matières premières. Nous nous sommes entretenus avec Christophe Keppens, Chief Officer of Plant Health Services, et Philippe Houdart, Crisis Manager auprès de l'Agence fédérale pour la Sécurité de la Chaîne alimentaire (AFSCA).

Tout a commencé en 2020 avec des graines de sésame provenant d’Inde et plus tard, avec le curcuma, le gingembre et la gomme de caroube. Malgré les teneurs extrêmement faibles, une approche européenne très stricte a contraint des entreprises alimentaires à retirer de nombreux produits des rayons avec, comme conséquence, des millions d’euros de préjudices économiques et d'importantes pertes alimentaires. Fevia a donc remis en cause cette approche trop sévère. Heureusement, une collaboration étroite avec le Ministre Clarinval et l'AFSCA a permis d’affiner cette approche disproportionnée dans notre pays. Un entretien avec l’AFSCA nous apprend que la Belgique en sortira encore plus forte en matière de sécurité alimentaire. 

Tout d'abord, qu'est-ce que l'oxyde d'éthylène et comment s'est-il retrouvé dans nos aliments ?
Christophe Keppens : «L'oxyde d'éthylène ou ETO est un produit phytopharmaceutique interdit en Europe depuis des décennies. Toutefois, certains pays non européens l'autorisent, le tolèrent ou ne disposent pas de cadre juridique en la matière. Au sein de l’Union européenne, il est essentiellement utilisé comme désinfectant, notamment pour les dispositifs médicaux. Cependant, il n’est absolument pas normal de le retrouver dans notre chaîne alimentaire.»

Comment s’est-il retrouvé chez nous ?
Christophe Keppens : «Via les importations en provenance de pays non européens. Le secteur alimentaire européen utilise de nombreuses matières premières provenant de pays tiers comme l’Inde, certains pays africains, etc. Nous pensons qu'il est utilisé dans ces pays comme désinfectant pour prévenir toute contamination microbiologique. C’est en tout cas ce que nous pouvons déduire du type de produits contaminés. Il s'agit généralement de produits en poudre qui sont sensibles aux contaminations microbiologiques et pour lesquels une stérilisation ou une désinfection par l’ETO peut s’avérer utile d’un point de vue technique. Par exemple, nous l’avons d’abord rencontré dans des graines de sésame, puis dans des épices et des fibres et plus tard également dans de la gomme de caroube.»

Dans quelle mesure l'oxyde d'éthylène est-il dangereux pour l'être humain ?
Christophe Keppens : «Il existe un risque chronique potentiel mais absolument aucun risque aigu. Par conséquent, une personne qui consomme un produit contenant de l’ETO ne tombera pas malade instantanément. Seule la consommation de grandes quantités, durant plusieurs années, peut, à long terme, entraîner des effets potentiellement délétères pour un être humain.

L'ETO est connu pour ses effets potentiels sur l'ADN. La législation européenne impose des limites toxicologiques ou de sécurité aux produits phytopharmaceutiques, tant à court qu'à long terme. Ces limites n’existent pas pour l’ETO car nous ne disposons pas de données suffisantes et ses effets ne sont donc pas observables, ce qui, évidemment, représente un défi.»

Cette incertitude explique-t-elle l'approche harmonisée, mais très stricte, adoptée par l'Europe cet été ?
Christophe Keppens : «Absolument. L'Europe a décidé de rappeler des produits dès que nous avons détecté la présence d’ETO dans une matière première, sans évaluation des risques, car le danger potentiel théorique est toujours bien présent.»

Comment l’approche de l’Europe a-t-elle évolué ?
Christophe Keppens : «L'approche a évolué suivant trois étapes. Lorsque tout a commencé en septembre de l’année dernière avec des graines de sésame provenant d’Inde, il existait bel et bien un cadre légal mais aucune approche harmonisée permettant de l’appliquer dans la pratique. C’est donc une bonne chose que l'Europe ait ensuite pris l'initiative d'harmoniser les mesures pratiques. Et, naturellement, cette décision est bénéfique pour les fabricants qui commercialisent des produits sur différents marchés européens.

Ensuite, durant l’été, de nouvelles matières premières contenant de l'ETO sont apparues et l'attention s'est portée sur d'autres produits alimentaires. Il s'agissait notamment de produits à base de gomme de caroube, comme les glaces. Par conséquent, davantage de produits étaient impliqués, entraînant d'autres rappels.

Ensuite, en concertation avec Fevia et avec l'approbation du Ministre Clarinval, nous avons œuvré en faveur d’une approche plus affinée des produits finis composés dans lesquels un produit non conforme a été dilué.»

Comment se présente cette approche «affinée» et quel est son avantage ?
Christophe Keppens : «La Belgique suit l'approche harmonisée de l'Union européenne, à ceci près que dans certaines situations, nous continuons à analyser les produits composés avant de les retirer du marché. Auparavant, si nous savions qu'une matière première était contaminée à l'ETO, nous rappelions tous les produits finis fabriqués avec cette matière, quelle que soit la teneur en ETO du produit fini.

Aujourd’hui, nous prélevons des échantillons sur un lot, par exemple, de crèmes glacées. Nous analysons chaque lot de produits similaires, qui peut aller de dix conserves à plus de cinq mille repas, par exemple. Nous développons ainsi une garantie supplémentaire pour le produit composé. Nous sommes l’un des rares états membres à appliquer une telle approche, avec la sécurité renforcée de l’analyse pour les produits composés.»

Quel est l'avantage de cette approche ?
Philippe Houdart : «Le gros avantage est que nous évitons les rappels inutiles. Les rappels qui ont lieu aujourd'hui sont plus ‘ciblés’ et nous ne retirons plus des rayons des produits dans lesquels la matière première de base est tellement diluée que vous la retrouvez à peine dans le produit.

Nous devons viser une approche réaliste de la sécurité alimentaire. Évidemment, vous ne connaissez généralement pas à l’avance l'effet d'une approche que vous allez adopter à un moment précis. Il importe que vous disposiez ensuite de la flexibilité requise, comme aujourd’hui afin, le cas échéant, de procéder à des ajustements par la suite. Et nous espérons que l’Europe adoptera cette vision en la matière.»

Quels autres enseignements l'AFSCA en tire-t-elle ?
Philippe Houdart : «Nous devons tenter d'arrêter ces contaminations plus tôt, et réaliser davantage de tests à nos frontières extérieures afin de retenir ces matières premières contaminées à la source. L'Europe y travaille d’arrache-pied et nous attendons, dès 2022, davantage de contrôles sur un nombre accru de produits provenant d'un plus grand nombre de pays d'origine. Plus concrètement, les conditions d'exportation pour les pays tiers vers l'UE seront plus strictes et assorties d’une certification par les autorités locales. Nous allons également renforcer les contrôles à nos frontières extérieures ainsi que les analyses requises. En outre, nous devons continuer à miser sur l’harmonisation en vue d’avoir des conditions de concurrence équitables et des exigences égales pour nos entreprises dans toute l'Europe.»

Christophe Keppens : «Ce sont les détails qui posent problème. Nous sommes ravis de voir que la Commission européenne s’efforce de fournir de plus en plus de directives pratiques. Nous observons davantage de défis en Europe qu’il est préférable de relever ensemble. De plus, chacun est conscient de l’importance de convenir de façon plus détaillée des actions que nous allons mettre en œuvre.»

Enfin et surtout, quel est le message de l’AFSCA aux entreprises alimentaires belges ?
Christophe Keppens : «Nous sommes déjà des précurseurs pour de nombreux aspects de la sécurité alimentaire et nous figurons dans le top européen en ce qui concerne les contrôles des pesticides. C'est parce que la Belgique impose la notification obligatoire spécifique que la présence d’ETO a pu être détectée. Bien sûr, certaines choses peuvent encore passer à travers les mailles du filet. Les entreprises alimentaires belges effectuent déjà systématiquement des contrôles stricts et elles devront les intensifier. En d'autres termes, « connaissez votre produit», en accumulant davantage de connaissances sur vos produits et vos fournisseurs et sur la façon dont ils traitent les matières premières.»

Sur le site de l'AFSCA, vous trouverez tout ce que vous devez savoir sur l'oxyde d'éthylène et l'approche actuelle: cliquez ici.

Aux lecteurs du blog
Comme le montre cette notice de la BNF, le blog Albert Amgar a été indexé sur le site de la revue PROCESS Alimentaire. 10 052 articles initialement publiés par mes soins de 2009 à 2017 sur le blog de la revue sont aujourd’hui inacessibles. Disons le franchement, la revue ne veut pas payer 500 euros pour remettre le site à flots, alors qu’elle a bénéficié de la manne de la publicité faite lors de la diffusion de ces articles.

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