jeudi 13 juin 2019

De la nécessite d'une police unifiée de l'alimentation ?


Le blog a traité du sujet à plusieurs reprises, ici et ici ou encore ici et ici.

Voici un article intitulé « Police unifiée de l'alimentation : une réforme nécessaire », rédigé par Benoît ASSEMAT, administrateur et ancien président du SNISPV qui a été proposé sur le site du SNISPV (Syndicat National des Inspecteurs en Santé Publique Vétérinaire). 

Cet article est paru dans la revue Acteurs Publics du 2 mai dernier.

Benoit ASSEMAT est Conseiller sécurité sanitaire à l'Institut National des Hautes Etudes de la Sécurité et de la Justice (INHESJ).

Les scandales et crises alimentaires sont de plus en plus fréquents. La raison principale est simple : les filières alimentaires sont devenues un terrain favorable au développement de nouvelles formes de délinquance. Engagé dans une réforme de l’organisation des services publics, le Gouvernement a placé dans ses priorités le renforcement des missions de contrôle, de lutte contre les fraudes et d’inspection, notamment dans le domaine de la sécurité sanitaire et alimentaire. Le projet de création d’une police unifiée de l’alimentation répond à l’objectif d’une plus grande efficacité de l’action des deux principales administrations de surveillance et de contrôle de la chaîne alimentaire : la direction générale de l’alimentation (DGAL) et la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), rattachées pour la première au ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation et pour la seconde à celui de l’Economie et des Finances.

Ce projet a pour ambition d’apporter une réponse à un problème ancien, mis en évidence par de nombreux rapports depuis plus de 20 ans : l’éparpillement des compétences et la dilution des responsabilités entre la DGAL et la DGCCRF, illustrées de nouveau par l’affaire Lactalis en décembre 2017.

Différentes initiatives ont été prises pour assurer une meilleure coordination entre ces deux administrations. La dernière réforme, mise en place en 2010 dans le cadre de la révision générale des politiques publiques, a conduit à la création de directions interministérielles regroupant à l’échelle départementale les agents des deux services. L’efficacité de cette réforme a été limitée par le maintien d’une double tutelle ministérielle aux niveaux national et régional.

Comment peut-on aujourd’hui mettre en place une organisation plus efficace des services publics en charge des contrôles officiels sur la chaîne alimentaire ? Sur quels principes pourrait reposer une police unifiée de l’alimentation, susceptible de mieux prévenir les crises et scandales alimentaires ?

Le premier principe conduit à adopter une approche globale et intégrée des risques, s’appliquant à toute la chaîne alimentaire (« de la fourche à la fourchette ») et associant aux enjeux sanitaires ceux liés à la lutte contre les pratiques frauduleuses ou trompeuses. C’est le principe directeur du règlement européen 2017-625 du 15 mai 2017 sur les contrôles officiels de la chaîne alimentaire, adopté dans le contexte du scandale de la viande de cheval de 2013 et qui s’appliquera dès le mois de décembre.

Une action efficace implique en effet d’intervenir de façon coordonnée sur tous les maillons de la chaîne alimentaire : on estime que 75 % des maladies humaines émergentes sont d’origine animale.

Les actions conduites dans les élevages avicoles pour prévenir les cas de salmonelloses transmis par l’alimentation illustrent ce principe. Il en va de même pour maîtriser les contaminations de la chaîne alimentaire par des résidus de médicaments vétérinaires ou de produits phytosanitaires.

L’approche globale des risques conduit également à dépasser la dualité historique entre sécurité sanitaire et répression des fraudes. En effet, pour des raisons liées à la mondialisation des échanges, à la complexification des circuits commerciaux et à une pression toujours plus forte sur les prix, ces deux risques sont aujourd’hui étroitement liés et représentent les deux facettes d’un même enjeu : celui de la sécurité de l’alimentation.

L’histoire récente des crises et scandales alimentaires nous l’a montré : un problème sanitaire peut révéler l’existence d’une fraude (ce fut le cas des œufs contaminés au fipronil à l’été 2017), de la même façon qu’une fraude peut soulever des questions sur la sécurité de la chaîne alimentaire (voir le scandale de la viande de cheval en 2013).

Le deuxième principe repose sur la nécessité de regrouper sous une même autorité, et sur l’ensemble des niveaux de la chaîne de commandement (national, régional et départemental), les agents de la DGAL et de la DGCCRF. Une action efficace de l’Etat implique en effet d’associer les compétences scientifiques, techniques et juridiques des deux principales administrations assurant des missions de contrôle sur la chaîne alimentaire.

Les autorités de contrôle ne devraient plus fonctionner « en tuyau d’orgue », une administration surveillant l’utilisation des produits phytosanitaires dans les champs pendant que l’autre contrôle la présence de résidus sur les cultures après récolte. Autre exemple pour les établissements fabriquant des poudres de lait infantile, pour lesquels les services de la DGAL délivrent l’agrément sanitaire tout en étant soumis à des contrôles de la DGCCRF, qui dispose d’une compétence spécifique dans le secteur de l’alimentation infantile.

La France est certainement le seul pays européen ayant désigné deux points de contact pour le réseau européen d’alerte sanitaire comme pour le réseau sur les fraudes alimentaires. La séparation entre ces deux administrations pour traiter un même sujet, celui de la sécurité de l’alimentation, se révèle de plus en plus inadaptée, et représente un handicap par rapport aux autres Etats ayant déjà mis en place une autorité unique de contrôle. Si le regroupement des autorités de contrôle n’est pas imposé par le nouveau règlement européen, ce dernier précise que chaque Etat membre doit désigner une autorité unique chargée de la coopération avec la Commission européenne et les autres Etats membres.

Le dernier principe consiste à assurer un financement suffisant et stable des contrôles officiels. Le règlement européen précise notamment qu’il « convient, pour réduire la dépendance du système de contrôles officiels à l’égard des finances publiques, que les autorités compétentes perçoivent des redevances ou des taxes couvrant les frais qu’elles supportent pour effectuer les contrôles officiels (…) ».

En effet, plusieurs rapports récents ont mis en évidence la diminution sensible des moyens des deux administrations ainsi que la nécessité de renforcer les contrôles officiels. Par ailleurs, l’enquête conduite par un grand cabinet d’audit montre une fragilité du dispositif français, financé essentiellement par le contribuable (10 % seulement du budget provient des professionnels du secteur agroalimentaire, alors que ce taux se situe entre 28 et 47 % pour les pays ayant fait l’objet de l’analyse). L’extension des redevances sanitaires prévues au niveau européen apporterait des ressources nouvelles au profit tant des consommateurs que des professionnels concernés.

La mise en place d’une police unifiée de l’alimentation s’appuyant sur ces trois principes peut se concevoir soit par la création d’une direction interministérielle de la sécurité alimentaire, rattachée au Premier ministre, soit par celle d’une agence publique de contrôle placée sous la tutelle des différents ministères concernés

Il y a une vingtaine d’années, la création des agences sanitaires avait permis de rénover le dispositif national d’évaluation des risques. Aujourd’hui, toutes les raisons sont réunies pour engager une réorganisation en profondeur de nos administrations de contrôle : nouveaux risques sur la sécurité de notre alimentation, défiance exprimée par les consommateurs à l’égard de leur alimentation comme des autorités publiques de contrôle, tout comme l’intérêt des filières agroalimentaires elles-mêmes, pour lesquelles la solidité du dispositif public de contrôle est un atout incontournable face à la concurrence internationale.

Une telle réforme répond également à la demande de proximité, de simplicité et d’efficacité du service public exprimée par nos concitoyens.

Commentaire. La réforme ne sera complète que si le consommateur est informé complètement sur le nouveau dispositif et de façon transparente.

Par ailleurs, un site officiel unique des ravis de appels a été aussi promis, mais il est toujours attendu ...

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