Quant on s’intéresse un peu à la sécurité sanitaire des aliments en France,
on constate que le nouveau directeur général de l’alimentation nous gâte avec
deux interviews, certes une communication de nature institutionnelle, sans contradiction
aucune, mais enfin, il communique …
De quoi s’agit-il ?
Sur l’interview publiée le 7 juin 2019, on avait eu droit à deux scoops,
le premier est un classique,
« … il faut toujours rappeler que la sécurité sanitaire des aliments est d'abord la responsabilité première professionnels, mais ensuite nous sommes présents sur l'ensemble du territoire avec des agents qui sont chargés soit de l'inspection des plans de maîtrise sanitaire des entreprises, de l'inspection dans les entreprises, dans les restaurants, dans les entreprises de remise directe, dans les entreprises de transformation, de distribution. »
Nous sommes
présents mais en fait d’une façon puzzle sur
l’ensemble du territoire, et le directeur général cite ensuite certes le
nombre d’agents sur le terrain, environ 4500 agents, mais se garde bien de
citer le nombre d’inspections en sécurité des aliments, voir ici.
Au passage, je
signale à nouveau que sur l’Infographie
sur la sécurité sanitaire des aliments, le ministère de l’agriculture dont
dépend la DGAL, indique 75 000
inspections d’établissements pour vérifier la sécurité sanitaire des aliments ;
ce chiffre est fantaisiste, puisque selon le rapport
d’activité 2018 de la DGAL, on en a 57 000 !
Désormais, depuis le 28
juin 2019, le chiffre de 57 500 inspections en sécurité des aliments s'affiche
sur l'infographie sur la sécurité sanitaire des aliments, le blog est donc ravi d'être lu, au moins, par la DGAL!
Le second scoop est tout aussi intéressant,
« … notamment par le fait que la réglementation européenne a fixé une obligation de résultat pour les opérateurs. Le produit qui doit être mis sur le marché doit être sûr, et s'il n'est pas sûr, ce sont qui en sont responsables, et donc il y a une obligation pour le professionnel à rechercher tous les moyens qui permettent d'assurer la sécurité sanitaire des aliments qu'il met sur le marché. »
Je crois qu’on a bien compris le rôle des professionnels …
Et pour le reste l’interview ne
nous apprend pas grand-chose, mis à part cette affirmation sans preuve, « Oui, notre alimentation en Europe est l'une des
plus sûres au monde »
Nous pouvons le mesurer d'ailleurs par rapport aux alertes et au nombre de malades liés aux intoxications alimentaires qui en Europe est très faible par rapport à d'autres parties du monde.
Rappelons à l'expert alim'agri que selon l'EFSA de décembre
2018, « Zoonoses, les progrès sont au point mort » :
L’année dernière, les signalisations de cas pour les trois zoonoses principales dans l’UE n’ont présenté que de légères fluctuations par rapport à 2016. Le nombre de cas signalés de salmonellose et de campylobactériose est resté stable au cours des cinq dernières années, bien que la listériose continue à augmenter.
De même pour la France, on pourrait aussi citer l’article publié par l’InVS,
Estimation
de la morbidité et de la mortalité liées
aux infections d’origine alimentaire en France métropolitaine,
2008-2013.
Bref, passons à la seconde interview, celle du 12 juin 2019,
Elles doivent vraiment intégrer dans leur logique d'entreprise la performance sur ce volet sanitaire afin d'en faire un outil de différenciation, de segmentation pour permettre d'apporter un « plus » au produit tout venant que l'on trouve sur le marché. On le voit notamment dans le cadre de la politique d'exportation. Si vous ne maîtrisez pas le sanitaire, vous pouvez conclure tous les accords que vous voulez, vous n'exporterez rien ! Donc c'est un préalable, mais un préalable dont il faut faire un atout pour se démarquer dans le marché mondial.
Nous sommes d’accord, mais pour avoir des entreprises
compétitives, il faut aussi des services publics compétitifs, et l’on peut légitimement
se demander si La
sécurité des aliments est-elle une variable d’ajustement de la politique
économique de la France !
Je crois aussi que le directeur général de l’alimentation n’a pas lu le récent
rapport du Sénat qui indique « Une concurrence déloyale posant de
vrais doutes sur la qualité sanitaire des produits importés » ainsi que
« La
perte de compétitivité provient également d'une tendance à la « sur-réglementation », qui se
manifeste en France par des surtranspositions que ne réalisent pas d'autres
pays européens. »
Puis, on (re)découvre la marotte du directeur général de l’alimentation,
« La sécurité sanitaire
des produits qui sont mis sur le marché sont de la responsabilité première des
entreprises. »,
mais il y a une nouveauté qui est introduite :
Pour autant, bien évidemment, lorsqu'il y a une crise, la responsabilité de l’État peut être mise en cause s'il n'est pas assez réactif.
Ah bon, ça peut arriver ?
Environ 1 400 alertes sont gérées chaque année par la DGAL en lien avec les services déconcentrés. Nous avons un système de sécurité sanitaire efficace et qui est particulièrement réputé au niveau international. Mais cela ne veut pas dire que l'on ne peut pas l'améliorer !
J’en étais resté à 1047
alertes en 2017, mais il est vrai qu’en 2018, elles ont fortement augmenté avec 30% d’augmentation enregistrée au
mois de septembre 2018.
Puis vient le cœur du sujet de son interview avec cet aveu de taille, il
était temps !
Certaines crises passées et d'autres plus récentes – comme l'affaire Lactalis – ont montré que la France avait une organisation de sa police sanitaire assez complexe. Les compétences sont en effet partagées entre la DGAL et la DGCCRF (direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes). Ce qui peut entraîner une certaine confusion pour les consommateurs, et même les entreprises.
On pourrait aussi citer la crise fipronil avec un retard à l’allumage, la
guerre des polices, etc., donc, on s’en serait douter, tout ne va pas si bien
que ça … lire Le
côté obscur de la sécurité des aliments en France : baisse constante des
contrôles, guerre des polices sanitaires, fiasco des rappels, augmentation des
maladies infectieuses d'origine alimentaire.
« Des évolutions de cette
organisation sont-elles envisagées ? », demande-t-on au directeur
général de l’alimentation.
Pas de bouleversements, pas de changements de cap, mais de simples
évolutions …
Oui, une mission interministérielle a été mise en place de manière à avoir une vision globale et de faire un certain nombre de propositions d'évolution. L'objectif : aller vers une police clarifiée de l'alimentation. L'idée est de redonner plus de lisibilité à notre organisation nationale afin que le respect de la chaîne de commandement et l'efficacité de l'action de l’État face à un problème sanitaire soient garantis. D'autant que nous sommes dans un champ qui évolue constamment, avec des demandes qui sont de plus en plus pointues et complexes, que ce soit au niveau de la fabrication des aliments ou bien de la distribution, qui se fait de plus en plus de manière dématérialisée. Il faut sans cesse que notre action, notre positionnement, prennent en compte ces évolutions technologiques et/ou sociétales.
Ah bon ce n’était pas clair avant ?
On ne voit d’ailleurs pas le mot transparence, terme qui n’est pas cité une
seule fois dans les deux interviews, c’est dire … on attendra donc les
résultats de la ‘mission interministérielle’
pour juger …
Une bonne interview se doit de parler de l’action du Président de la République,
les deux interviews le font,
« force de contrôle européenne pour lutter contre les fraudes alimentaires » pour la première interview
et pour la seconde, « Ce que le président de la République a souhaité, c'est que l'on puisse proposer au niveau européen la mise en place d'une organisation – qui peut prendre des formes diverses – pour que l'on ait une réactivité forte dans le domaine des fraudes alimentaires. »
La seconde interview se termine
sur la ‘traditionnelle mobilisation’ liée à l’opération alimentation vacances,
… lancement annuel d'une opération majeure pour la DGAL : l'opération alimentation vacances (OAV) qui vise à renforcer les contrôles dans les établissements de restauration éphémères ou ayant un surcroît d'activité à cette période, mais également à informer le grand public sur les règles de conservation des aliments à respecter pendant l'été. Les équipes présentes pendant la période estivale sont mobilisées pour orienter les contrôles en priorité sur cette thématique.
Je ne sais pas s’il s’agit d’une opération majeure pour la DGAL, la
question est plutôt une opération majeure, mais que quoi ?
Le compte rendu qui en est fait et que le blog rapporte régulièrement, ici,
ici et ici, montre, à ‘évidence,
que rien ne bouge, année après année, sorte de rendez-vous traditionnel où il
faut fournir des chiffres, des chiffres, enfin point trop n’en faut, il faut
dire que ce ministère si peu transparent, qu’il est avare de données …
En conclusion, constat bien tristounet de l’écoute ou de la lecture de
ces deux interviews, ce qu’il faut souhaiter, c’est qu’il n’y en ait pas une
troisième …
Relevons que pas un mot n'a été dit sur le scandale de la non-information des consommateurs à propos des rappels de produits alimentaires ... malgré plusieurs rapports, rien ne change, rien n'évolue ... étonnant, non ?
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