mardi 11 juin 2019

Quand une épidémie de gastro-entérite virale devient une épidémie d'intoxication alimentaire à Cryptosporidium parvum


Voici une affaire de sécurité sanitaire intéressante …

Si parmi les titres de certains sites publiés à l'époque, on ne devait en retenir qu'un ce serait celui de France bleu du 30 novembre 2017 :
Saint-Philbert-de-Grand-Lieu : c'est une gastro et pas la cantine qui a rendu malades les collégiens.
C'est une gastro-entérite qui a causé 166 absences la semaine dernière au collège de Saint-Philbert-de-Grand-Lieu près de Nantes. L'enquête menée par l'Agence régionale de santé écarte l'intoxication alimentaire

On lira, si l'envie vous en prend, d'autres faits similaires rapportés ici et ici.

La réalité des faits est désormais connue avec la publication au BEH de juin 2019*, il ya bien eu une épidémie d'intoxication alimentaire et plus précisément une épidémie de cryptosporidiose dans un collège de l’ouest de la France, en novembre 2017 …

Résumé.
Introduction. Le jeudi 23 novembre 2017, une épidémie de gastro-entérite était signalée dans un collège de Loire-Atlantique, avec plus de 150 malades. Diverses investigations épidémiologiques, microbiologiques et environnementales ont été conduites.

Méthode. Une étude de cohorte rétrospective des élèves et adultes du collège a été réalisée par un questionnaire mis en ligne le lendemain sur le site internet du collège. Des prélèvements de selles ont fait l’objet de recherches successives de bactéries, virus et parasites. Des échantillons environnementaux ont été prélevés pour analyses.

Résultats. Le taux d’attaque était de 61% (180/293), avec un gradient d’âge allant de 75% chez les 6e à 45% chez les adultes. Un pic de 75 cas a été enregistré le 22 novembre. Les consommations d’eau du réseau de distribution n’étaient pas associées à la survenue de la maladie ; le fait d’être demi-pensionnaire y était associé (risque relatif, RR=1,6 [1,1-2,3]). Suite aux analyses bactériologiques et virologiques négatives (15 prélèvements), l’utilisation d’une méthode de détection par PCR de 22 agents pathogènes révélait la présence du parasite Cryptosporidium parvum IIaA15G2R1.

Parmi les aliments servis six jours avant (durée d’incubation) à tous les demi-pensionnaires, figurait du fromage blanc biologique au lait non pasteurisé. Le génotype hypertransmissible C. parvum IIaA15G2R1, considéré comme zoonotique, a été retrouvé dans des échantillons de fèces de veaux à proximité du laboratoire de fabrication de fromages.

Discussion. La cryptosporidiose humaine apparaît largement sous-diagnostiquée en France. Les prescriptions de routine pour le diagnostic biologique de diarrhées persistantes devraient être améliorées en spécifiant une recherche parasitologique (dont cryptosporidies).
Les auteurs indiquent que « L’enquête a été réalisée sous l’hypothèse initiale d’une contamination à norovirus (durée d’incubation de 1 à 2 jours) et a recherché une exposition autour des deux jours d’école des lundi 20 et mardi 21 novembre 2017. »
Quinze prélèvements de selles ont fait l’objet de recherches biologiques de 1re puis de 2e intention : aucun agent bactérien ou viral n’a été identifié. Les recherches d’autres agents pathogènes sur deux prélèvements pris au hasard ont révélé la présence du parasite Cryptosporidium sp. L’ensemble des prélèvements a alors été soumis à une recherche spécifique de Cryptosporidium sp.: 12 étaient positifs à l’espèce C. parvum.
L’identification de C. parvum a été tardive du fait de l’absence de recherche en routine de parasites face à un cas de gastro-entérite. De plus, lorsqu’un examen parasitologique est spécifiquement prescrit, les recherches en routine par les laboratoires d’analyse de biologie médicale ne couvrent pas Cryptosporidium. L’utilisation d’une méthode moléculaire de détection de 22 agents pathogènes gastro-intestinaux a permis de détecter C. parvum et de réorienter les investigations vers la recherche d’une exposition à risque 6-7 jours avant le pic épidémique.
Parmi les aliments servis au cours de la période ciblée, figurait du fromage blanc au lait cru servi six jours avant le pic épidémique brutal, denrée représentant un risque potentiel pour les cryptosporidioses. Des oocystes de C. parvum ont été retrouvés dans des fèces de veaux en élevage à proximité du laboratoire de production (échantillons prélevés deux mois après l’épisode). Comme ceux retrouvés chez les malades, ils étaient de génotype IIaA15G2R1, qualifié d’hypertransmissible. La charge parasitaire était modérée pour des veaux, mais suffisante pour une contamination durable de l’environnement, les oocystes survivant plusieurs mois en conditions fraîches et humides.
Cet épisode soulève plusieurs pistes d’améliorations :
  • la cryptosporidiose apparait largement sous-diagnostiquée en population générale en France. Les prescriptions de routine pour le diagnostic biologique de diarrhées persistantes doivent être améliorées en spécifiant une recherche parasitologique incluant Cryptosporidium; 
  • l’investigation des toxi-infections alimentaires collectives repose sur la formulation d’hypothèses à vérifier s’appuyant sur les signes cliniques et une période plausible d’exposition à un aliment contaminé. Dans l’algorithme utilisé, la combinaison d’une prédominance de diarrhées sans fièvre avec étalement des débuts des signes sur plus de quatre jours devrait être ajoutée pour suggérer l’hypothèse d’une infection à Cryptosporidium et adapter la recherche d’expositions; 
  • la mise au pré précoce des veaux après leur naissance est une mesure visant à réduire les problèmes récurrents de diarrhée des veaux, mais elle ne supprime pas totalement le risque de contamination de l’environnement par excrétion d’oocystes. L’épisode rappelle que la fabrication de produits laitiers doit faire l’objet d’attentions d’hygiène particulières, notamment en milieu agricole.

On savait que les TIAC était sous-estimées, on sait désormais qu'il en est de même pour les cas d'infection à Cryptosporidium ...

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