samedi 14 mai 2022

La France et la crise Nestlé Buitoni: Une justice déjà mal embarquée et une police unique de la sécurité des aliments à venir, mais en sous-effectifs

Le blog vous avait parlé ici et ici. Sur les lenteurs de la justice dans une affaire de steaks hachés vendus par Lidl et commercialisés par la SEB, plus de dix ans d'attente, on lira Je tiens à rappeler qu'on n'est pas coupables de ce qui arrive dans nos assiettes. La bactérie n'arrive pas dans la nourriture par hasard.

Ainsi dans Le Figaro du 14 mai 2022, on peut y lire Un juge d'instruction pour démêler le «scandale Buitoni».
Des familles de victimes dénoncent déjà des lenteurs dans cette enquête démarrée le 22 mars.
L'affaire des pizzas Buitoni contaminées change de main. Sous l'autorité du parquet de Paris depuis le 22 mars dernier, les investigations qui vont se poursuivre dans ce dossier vont désormais être décidées par un juge d'instruction. Celui-ci a été désigné ce jeudi. L'information judiciaire qui, à cette occasion, a été ouverte pour « homicide involontaire », vise une victime. Ouverte aussi pour «blessures involontaires», elle concerne 14 personnes.

Des chiffres qui soulèvent l'incompréhension de Me Pierre Debuisson, le principal avocat des familles touchées par ce nouveau scandale sanitaire. « Il est aberrant que le procureur n'ait retenu qu'un seul homicide involontaire et quatorze blessures involontaires alors que Santé publique France a établi que la consommation de pizzas a entraîné la mort de deux enfants et l'intoxication grave de plus de 50 victimes», s'étonne-t-il.

Très précisément 56 cas de SHU au 4 mai 2022, selon Santé publique de France. Mais c’est aussi sans compter toutes personnes qui ont eu des infections à E. coli producteurs de shigatoxines (STEC), comme l’a démontré dans Les pizzas surgelées Fraîch'Up de la marque Nestlé Buitoni ont probablement rendu malade plusieurs centaines de personnes en France, l’avocat américain spécilisé en sécurité des aliments, Bill Marler.

À ce stade, seule la gamme Fraich'up de la marque est concernée par les investigations.

«C'est une véritable avancée, on s'étonnait qu'il n'y ait toujours rien depuis le début de l'enquête», confie à franceinfo, David Biehler, père de deux garçons contaminés par la bactérie E. coli, après avoir mangé des pizzas Buitoni. Son aîné de 7 ans a été hospitalisé six jours, ses analyses de sang sont aujourd'hui toujours mauvaises. «On sait que nous sommes face à un géant de l'industrie agroalimentaire, admet David Biehler, toutes les familles sont conscientes que nous sommes partis pour un dossier qui va durer plusieurs années, mais, pour nos enfants, on ne va pas lâcher». «Nos enfants, eux aussi, ont un suivi sanitaire qui va durer plusieurs années, rappelle-t-il. Nous ne sommes pas à l'abri que des séquelles arrivent. Rien que pour ces raisons-là, il est hors de question qu'on lâche l'affaire», martèle le père de famille.
«Outre la responsabilité de Buitoni, on s'interroge aussi sur les contrôles sanitaires de l'État. Est-ce qu'il y a eu des failles de ce côté-là aussi ?», a dit David Biehler, plaignant à franceinfo.

Il ne faudrait aussi oublier Nestlé qui possède Buitoni . Les déclarations récentes du PDG de Nestlé montrent qu'il ne sait rien du fonctionnement de l'usine de Caudry.dans le Nord, voir à ce sujte, Le dirigeant de Nestlé promet de tirer des leçons de l'épidémie à E. coli en France.

Les Echos pose le problème ainsi, «La justice s'empare de l'affaire Buitoni et l'Etat crée une «police» de la sécurité alimentaire».

Le parquet de Paris a ouvert une information judiciaire, notamment pour des chefs d'homicide involontaire et de tromperie sur une marchandise. De son côté, le gouvernement se mobilise en créant une «police unique» composée d'agents de la DGCCRF chargés d'améliorer les contrôles de sécurité alimentaire.

Créer une «police unique» chargée de la sécurité des aliments n’est pas en soi une nouveauté, cela a été déjà maintes fois annoncée, sans jamais être réalisée, le principal problème de cette police réside dans la faiblesse des effectifs ...

Bref flash back, pour les jeunes lecteurs du blog, sur qui est tout sauf une nouveauté avec cet article du blog d’octobre 2018, Sécurité des aliments en France: quelle police sanitaire veut-on ? Et si on demandait l’avis aux consommateurs ?, dont j’extrais les élements suivants:

Ainsi un document du SNISVP (Syndicat National des Inspecteurs en Santé Publique Vétérinaire) a pour titre, «Vers une police unifiée de l’alimentation : la position du SNISPV».

Notre ambition est de contribuer au débat sur le nécessaire renforcement du contrôle de la chaîne agroalimentaire. L’affaire Lactalis, comme celle des œufs contaminés au fipronil quelques mois auparavant ou le scandale de la viande de cheval en 2013, nous rappelle que les enjeux sanitaires sont désormais, plus que jamais, étroitement liés à ceux de la lutte contre les pratiques frauduleuses ou trompeuses. Ces deux enjeux forment un tout : celui d’une approche globale de la sécurité sur la chaîne agroalimentaire.

Ce constat n’est pas récent. Déjà, en mars 2000, le rapport de la commission d’enquête parlementaire Leyzour-Chevalier «sur la transparence et la sécurité sanitaire de la filière alimentaire en France» recommandait de mettre en place une «unité de commandement», afin de mettre un terme à une situation «où nul n’est responsable en bloc et tous le sont dans le détail».

On peut même aussi remonter jusqu’au rapport Mainguy d’avril 1989 sur «La qualité dans le domaine agro-alimentaire. Rapport de mission novembre 1989, Ministère de L’Agriculture/Secrétariat d’Etat chargé de la consommation. Ministère de l’Agriculture/DGAL, 58 pages», rapport après rapport, tous disent la même chose, sans grand changement…

Ainsi ce rapport de 1989 évoquait déjà les relations difficiles entre les différentes structures administratives en ces termes :

« […] il apparaît urgent et nécessaire de coordonner efficacement l'ensemble des moyens administratifs existants pour les rendre parfaitement synergiques. […] Il reste donc à trouver la forme de l'outil la mieux adaptée à cette nécessaire coordination qui en tout état de cause devra dépendre d'une autorité d'arbitrage indépendante pour être efficace. Il devrait être tenu compte de cette recommandation dans les meilleurs délais compte tenu de l'urgence déjà exprimée».

L’urgence aura été d’attendre et attendre, et en plus de réduire les effectifs chargés des contrôles en sécurité des aliments, décidément, là aussi, peut-être, la justice aurait dû s’intéresser aux personnes responsables en charge …

Source de l’image.

Mise à jour du 19 mai 2022On apprend par Franceinfo, «Affaires Buitoni et Kinder : Foodwatch France porte plainte contre Nestlé et Ferrero».

Ces géants de l'agroalimentaire sont impliqués dans les contaminations à des bactéries liées à la consommation de chocolats Kinder (groupe Ferrero) et de pizzas surgelées Buitoni (Nestlé). L’ONG saisit la justice dans deux plaintes disctinctes, que franceinfo a pu consulter.
Mise à jour du 27 mai 2022. «Pizzas Buitoni: sept nouvelles plaintes déposées après des intoxications par E. Coli», selon La Voix du Nord.
Sept nouvelles familles ont décidé de porter plainte contre le fabricant de pizzas surgelées, selon RTL. 

Mise à jour du 29 mai 2022. On lira l’article d’Olivia Détroyat, «Affaire Buitoni: enquête sur les défaillances sanitaires de Nestlé», paru dans Le Figaro en ligne du 17 mai 2022. Dans le journal papier du 28 mai, le titre devient «Buitoni: les raisons de la sortie de piste de Nestlé». Article réservé aux abonnés ou aux lecteurs du journal.
Réputé pour sa rigueur, le géant suisse est rattrapé par une dérive sanitaire locale. Sa discrétion est mal perçue.
Alors que le patron France de Ferrero a fait vendredi son mea culpa après le scandale des œufs Kinder contaminés à la salmonelle, rien de tel pour Nestlé. Sous le feu des projecteurs depuis plus de deux mois à cause de ses pizzas Buitoni Fraîch’Up contaminées à la bactérie E. coli, le géant suisse garde toujours le silence. Pourtant, sept nouvelles plaintes ont été déposées ce vendredi au tribunal judiciaire de Paris, et une enquête judiciaire planche sur les causes et responsabilités d’une des plus grandes secousses sanitaires qu’ait connues le leader mondial de l’alimentation (87 milliards d’euros de chiffre d’affaires).

Aux lecteurs du blog
Je suis en conflit depuis plusieurs années avec la revue PROCESS Alimentaire pour une triste question d’argent qui permettrait de récupérer et de diffuser correctement les 10 052 articles initialement publiés gracieusement par mes soins de 2009 à 2017 sur le blog de la revue, alors qu’elle a bénéficié de la manne de la publicité faite lors de la diffusion de ces articles. La revue PROCESS Alimentaire s’est comportée et continue de se comporter en censeur et refuse tout assouplissement pour la modique somme de 500 euros. N’ayant pas les moyens d’aller devant la justice, je leur fait ici de la publicité gratuite. Derrière cette revue, il y a des aimables censeurs !

2 commentaires:

  1. Le problème, c'est que la création de cette police unique va se faire a minima : 60 "volontaires " de la DGCCRF sont invités à partir, tant est que ce changement de statut leur soit au moins équivalent. Le Ministère de l'Agriculture est moins favorable sur le plan des salaires à poste équivalent en général. Par ailleurs, 120 postes ( nombre très faible au vu des besoins) seront créés côté Ministère de l'Agriculture, à recruter et à former avant le 1er janvier 2023, date de la mise en place de cette police sanitaire. Quant on connait les délais de l'Administration, cela paraît impossible. Ensuite, seront transférées non seulement des missions d'hygiène qui étaient l'apanage de la DGCCRF ( hygiène des végétaux à la production ou à l'importation, contrôles des commerces alimentaires), mais aussi la recherche des pesticides, des contaminants (métaux lourds , mycotoxines) , les additifs, [les matériaux au contact sont encore en discussion] domaines pour lesquelles les compétences au sein du Ministère de l'Agriculture sont rares. Par ailleurs, dans le délai, il faudra modifier les textes juridiques (habilitations/sanctions) en passant par la loi, mettre en place des plans de contrôle pour 2023, trouver des laboratoires (la DGCCRF a ses propres laboratoires mais qui ne seront pas repris dans la réforme). Résultats : une baisse voire un effondrement du nombre de contrôles en 2023 et dans les années qui suivront, une mise en danger des consommateurs et dans 2 - 3 ans, le gouvernement aura encore beau jeu de dire que l'Administration est inefficace et certaines missions seront alors confiés au secteur privé (notamment les commerces alimentaires seront assujettis à des contrôles obligatoires par des laboratoires ou sociétés de conseil).

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  2. Merci Corinne pour vos précisions éclairantes.

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