«Les agriculteurs, dans leur grande majorité, ne supportent plus les leçons qui leur sont assénées par les mouvements environnementalistes», souligne l’auteur, spécialiste du monde agricole
Quarante-six associations, syndicats ou ONG viennent de signer une nouvelle tribune «Politique agricole commune : à quand un virage agroécologique ?» dans Libération. Quarante-six signataires qualifiés pour sauver la planète qui se retrouvent régulièrement afin de phosphorer sur un nouveau modèle agricole… la plupart du temps inadapté aux impératifs techniques et économiques de la profession.
A bien y regarder, nous avons affaire ici à un club plutôt orienté à gauche, qui bénéficie de l’appui de certains médias peu réputés pour héberger des idées de droite. D’où cette question : l’écologie est-elle devenue un parti politique ? Lequel, avec des scores atteignant difficilement 2 % lors des élections présidentielles (et sans candidat en 2017), s’est progressivement installé dans la sphère politique en s’imposant lors des seconds tours par le jeu d’alliance parfois contre nature, en intégrant les gouvernements successifs, en monopolisant le prisme des médias, en utilisant le relais de personnalités issues de la culture ou des milieux intellectuels. Loin du sol…
«Mal-être». Cette nouvelle tribune réclame, entre autres doléances, un virage agroécologique concernant la future Politique agricole commune, avec une réorientation des soutiens. Ce qui, de facto, va susciter la mise en place de nouvelles contraintes, de nouveaux contrôles, de nouvelles normes coercitives et si peu compétitives dans un contexte où les pays concurrents se frottent les mains en observant nos tribulations agro-environnementales franco-françaises.
Etrange prise de position pour des signataires qui évoquent dans leur tribune «le mal-être paysan». Ce mal-être paysan, multifactoriel bien entendu, résulte également depuis quelques années d’une stigmatisation largement précipitée par la campagne de dénigrement que les écologistes instillent, de reportages calibrés en émissions à charge. D’où ces promeneurs qui se bouchent ostensiblement le nez quand ils voient sortir un pulvérisateur, ces riverains qui portent plainte dès qu’ils croisent une tonne à lisier, ce paysan qui se fait tabasser parce qu’il sulfate pour protéger ses cultures, cet autre qui se fait insulter ou condamner parce qu’il ose viser le loup qui vient de décimer le troupeau, parce qu’il fait trop de poussière quand il laboure, parce qu’il allume des feux pour lutter contre le gel, parce qu’il ne peut plus descendre enlever les embâcles dans les rivières pour éviter l’inondation, parce qu’il ne peut plus curer les ruisseaux sans que la police de l’eau brandisse sa verbalisation, parce qu’il n’a pas laissé de haies pour abriter les oiseaux, parce qu’il ose, infraction suprême, élever des animaux pour produire de la viande et, selon ses détracteurs, accentuer les pollutions.
Et patati et patata… Avec des exemples à n’en plus finir sur l’ensemble du territoire et une exaspération qui va crescendo dans les rangs d’une paysannerie française réduite à sa portion congrue.
La question, puisqu’elle est politique, n’est pas de savoir pourquoi les écologistes veulent imposer leurs dogmes aux agriculteurs, mais plutôt pourquoi les agriculteurs, dans leur grande majorité, ne supportent plus les leçons qui leur sont assénées par les mouvements environnementalistes.
Plutôt que de rédiger des tribunes matinées de compassion en prenant à témoin le contribuable-électeur et en réclamant plus de contraintes, que les écologistes laissent travailler les paysans. Ou bien, d’ici quelques années, le criquet importé, le nugget de fourmi lyophilisé et la tartine de tofu congelé auront remplacé ces productions agricoles locales traditionnelles qui, jour après jour, garantissent sur le plan quantitatif et qualitatif une autonomie alimentaire à 67 millions de Français.
Un challenge que l’écologie politicienne, beaucoup moins rompue au maniement des outils qu’à celui des idées, aura certainement beaucoup de mal à remporter.
Jean-Paul Pelras est écrivain, journaliste, ancien arboriculteur et maraîcher.
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